par FRÉD. BLUMENBACH(a);
Traduit du latin sur la 3e. édition par
Fréd. Chardel, Médecin, Paris 1806.
Il est des plus difficile de découvrir le carac-
tère spécifique de l’homme, dit Linnée, dans
[Seite 226] la préface de sa Faune Suedoise. En effet,
placé à l’une des extrémités de la chaîne des
êtres, il laisse entre lui & les animaux une si
énorme distance qu’on ne sauroit le compa-
[Seite 227] rer à aucun d’eux. Le singe n’est qu’une co-
pie grossière de ses formes extérieures, & n’a
ni les idées, ni les sens déliés, ni aucun des
attributs de l’espèce humaine.
Sous le rapport de ses fonctions, l’homme
l’emporte sur tous les animaux. Dans l’état
sauvage, il les surpasse par les sens, dont
quelques-uns peuvent s’affoiblir par la civilisa-
tion; mais alors il en est bien dédommagé par
un haut degré de perception. Il peut assimiler
à son individu toutes les substances alimentai-
[Seite 228] res, tandis que chaque espèce d’animaux est
bornée à deux ou trois, ce qui l’attache au
sol qui la voit naître. Où est l’être dont le
système nerveux soit aussi parfait, la faculté
de se produire & de se conserver aussi éten-
due? L’homme seul peut articuler des sons,
& perfectionner; lui seul peut transmettre ses
idées, les généraliser, les comparer entr’el-
les. Sa carrière s’étend bien au-delà de cel-
le des mammifères: les exemples du contraire
que l’on pourroit citer sont trop douteux &
trop rares, pour pouvoir former proprement
des exceptions.
La glabréité & le poli de la peau sont par-
ticuliers à l’homme: il s’en faut qu’il soit prou-
vé qu’il y en ait de tout velus. D’un autre
côté la position de sa tête qui n’est point sus-
pendue comme celle des mammifères, mais po-
sée en équilibre sur la colonne vertébrale, cet-
te colonne, les os du bassin, le système muscu-
laire, la structure de ses mains(b), celle de
[Seite 229] ses pieds destinés à s’appliquer à plat, en for-
mant un angle de 90 degrés, tandis que la plû-
part des quadrupèdes s’appuient sur les orteils,
& ne peuvent ainsi rester debout avec stabili-
té(c), enfin tout dans sa station qui lui est
exclusivement propre(d) se correspond ad-
mirablement & prouve qu’avec une telle orga-
nisation il ne pourroit prendre la posture des
animaux. Oui tout annonce qu’il a une autre
destination pour le temps & pour l’avenir:
Par une suite de cette structure, la face de
l’homme est perpendiculaire, ou du moins ne
[Seite 230] s’écarte pas autant de cette direction que chez
les mammifères. Quoique ces dispositions soient
communes à tous les hommes, il existe cepen-
dant entr’eux de légères différences, & c’est,
ce qui constitue les variétés de l’espèce hu-
maine: elles ne sont pas forties des mains de
la nature, mais un effet des climats divers que
l’homme habite, de sa manière de vivre & de
se nourrir, de ses moeurs & de ses usages.
Tous les corps organiques semés sur la sur-
face du globe sont soumis à l’impérieuse loi
des climats; rien ne peut s’y soustraire. Les
végétaux varient comme les pays. La trans-
plantation fait d’un arbre un arbrisseau ou même
un herbacé, ou elle produit un effet contraire.
Les fruits, les fleurs perdent ou acquièrent des
qualités, des couleurs, des formes. Quelle
ne sera donc pas la puissance du climat sur les
animaux à sang chaud, liés intimement à l’at-
mosphère dans laquelle ils existent?
On en trouve des preuves, à chaque pas,
dans toutes les espèces, par rapport à la struc-
ture & à l’étendue des formes, aux habitudes, à
la couleur: La nourriture & la manière de vi-
vre concourent en même temps à opérer des
altérations. Par exemple, on rencontre beau-
coup de variétés dans la forme de la tête des
chevaux des différens pays. On y observe mê-
me plus de diversité qu’entre le crâne du nò-
[Seite 231] gre & celui des Européens. Tous les cochons
sont blancs en Normandie, noirs en Savoie,
d’un rouge brun en Bavière. Les boeufs de
Hongrie sont en général d’un brun grisâtre:
ils sont roux en Franconie, En Guinée les
chiens & les oiseaux, les gallinacés surtout
sont noirs comme l’homme de ces contrées;
comme lui, le chien a la peau glabreuse &
onctueuse, & jouit aussi d’une transpiration par-
ticulière. Qui ne connoit les chiens, les chats,
les chèvres d’angora, les brebis d’Afrique,
dont la laine naturellement rude & grosse de-
vient si fine en Angleterre? Qui ne sait quels
changemens les animaux éprouvent en passant
de l’état sauvage sous la domination de l’hom-
me, ou quand ils recouvrent leur liberté? Ima-
ginera-t-on, à chaque observation, de créer
une espèce diverse?
L’homme, peut plus qu’aucun animal s’ac-
commoder à tous les climats, à toutes les tem-
pératures, aux variations diverses de l’atmosphè-
re(e), se plier à tous les genres de vie, se
[Seite 232] substanter de toutes sortes d’alimens. Pêcheur,
nomade, chasseur, agriculteur, pasteur, quel-
le variété dans ses moeurs, dans sa nourriture!
Le type de ses formes reste cependant toujours
le même. En est-il constamment ainsi des ani-
maux? Il étoit destiné à habiter toutes les ré-
gions de la terre: il étoit donc nécessaire pour
cela qu’il eût une organisation qui put s’y prê-
ter, mais il ne l’étoit pas de même qu’elle fut
inaltérable, sous tous les rapports, ou qu’à ce
défaut, il y eut autant d’espèces que de cli-
mats. La nature qui d’ailleurs est toujours
si admirablement simple ne pouvoir encore que
se montrer telle à cet égard, puisque des dis-
positions diverses se seroient opposé à la dis-
persion du genre humain & à la communica-
tion des hommes entr’eux, en un mot à la so-
ciabilité. En effet l’atmosphère ne varie pas
uniquement en suivant les degrés de latitude
& en proportion de l’action du soleil; mais ce
phénomène a lieu fréquemment sous la même
[Seite 233] latitude, & avec une grande diversité. Il suf-
fit d’un lac, d’une montagne, d’un bois, d’u-
ne rivière, que le sol soit sabloneux ou ferti-
le, pour que l’on observe une différence sou-
vent très-grande, à des distances très-rap-
prochées. Les végétaux, les animaux, tout
sent cette influence des localités. De-là aussi
l’homme prend une stature différente, une au-
tre couleur de peau; ses excrétions ne sont
plus les mêmes. De-là ses habitudes changent
& modifient son caractère. Mais, quelque dé-
favorablement qu’il soit placé, il a le privilège
particulier de ne pas dégénérer autant que les
animaux & les végétaux. Le Roi des forêts,
transplanté, peut devenir un frêle herbacé:
l’homme reste toujours l’homme, malgré les
outrages des climats qui s’efforcent envain de
le dénaturer: si, auprès des pôles il éprouve
vivement les atteintes de la rigueur excessive
des frimats, peu loin de là, dans les deux
mondes, en Suède comme en Patagonie, il
élance vers les cieux une taille encore plus
majestueuse que partout ailleurs, comme pour
braver & se venger. Cette puissance des cli-
mats agit donc plus sur les formes extérieures
que sur le fond du caractère. Les climats de
la Germanie & de la Gaule, par exemple ne
sont pas aujourd’hui ce qu’ils furent du temps
de Tacite & de César: bien des causes con-
[Seite 234] nues y ont concouru, telles que des abattis de
bois, des asséchemens de lacs & de marais &c.
Les peuples actuels de ces contrées ne ressem-
blent pas exactement à leurs ancêtres pour la
taille ni pour l’extérieur, mais ils ont conservé
au fond les traits principaux désignés dans les
auteurs anciens.
La couleur de l’homme n’est pas partout la
même: on peut dire en général qu’il noircit
ou blanchit à mesure qu’il s’approche ou s’é-
loigne des feux du soleil. On voit cette gra-
dation suivie en Europe comme en Afrique;
mais il est des causes accessoires qui produisent
aussi à cet égard des altérations, des variétés,
sous les mêmes latitudes.
On sait que la blancheur des Européens n’est
pas due à la couleur que réfléchit l’épiderme,
puisque c’est un corps transparent, mais à cel-
le qu’il transmet; la peau devient aussi plus
foncée à mesure qu’elle intercepte un plus
grand nombre de rayons lumineux, & enfin
décidément noire, quand elle les absorbe tous.
On peut en général distinguer deux genres de
coloration: l’un dépend de l’action immédiate
du soleil, qui carbonise les premières couches
des tégumens communs; elle disparoit, lors-
qu’il cesse d’être aussi ardent, & elle n’est pas hé-
réditaire; l’autre est au contraire un effet des
tempéramens, & se propage plus ou moins
[Seite 235] longtemps de race en race, suivant que la con-
stitution a subi des changemens plus ou moins
intimes. C’est ainsi qu’en Europe même, sans
changer de latitude, on voit la peau passer
par une infinité de nuances, depuis le blanc
jusqu’à la couleur des tempéramens mélanco-
liques. Ces nuances s’effacent plus ou moins
difficilement, suivant leur degré. Cette teinte
peut provenir de maladies, particulièrement
de celles du foie, qui s’opposent à ce que le
sang se dépouille convenablement des élémens
de la bile; enfin l’action des températures &
mille autres causes y concourent. Les Euro-
péens les plus blancs qui passent aux îles de
l’Amérique éprouvent bientôt cet effet, tout
en conservant une bonne santé. Il paroît donc
que le principe de la coloration est le même
chez tous les hommes, & que la peau des In-
diens & celle des autres peuples basanés ne
diffèrent entr’elles, & même de la nôtre qu’en
degré, selon qu’elles offrent plus ou moins de
ce jaune provenant de la transmission imparfaite
du blanc. Quant à la couleur des nègres, voi-
ci des propositions qu’on trouve dans un Mé-
moire de John Mitchell, inféré dans le 43e.
Vol. des Transactions philosophiques. Ce n’est
pas ici le lieu d’exposer les détails anatomiques
par lesquels il prouve ses assertions: je me
bornerai à en indiquer les principaux traits.
La peau des Nègres est plus épaisse & d’une
texture plus serrée que celle des blancs.
Elle ne transmet aucune couleur.
Preuves. 1°. Elle résiste plus au scalpel que
celle des blancs. 2°. Leur épiderme se sépare
plus difficilement, & paroit alors plus com-
pact & moins fin que celui des blancs. 3°. Ils
ne reçoivent jamais de coups de soleil. 4°. En
hiver, leur peau cessant d’être couverte de
l’humeur grasse qui la lubréfie, devient dure
& grossière. 5°. Aucun nègre adulte n’a de
boutons, s’il n’a la peau extrêmement fine.
6°. Leur peau ne rougit jamais, par l’effet de
fièvres ou de maladies. 7°. Elle ne change pas
dans la jaunisse qui donne pourtant une teinte
à leurs yeux.
Le corps réticulaire, les lames les plus su-
perficielles de l’épiderme sont noirs chez
les nègres. La peau offre du reste la
même couleur que chez les blancs, à l’ex-
ception des fibres qui vont du corps réticu-
laire à l’épiderme.
Le corps réticulaire est blanc au contraire
chez le blanc & forme une véritable membra-
[Seite 237] ne, tandis que chez le nègre c’est une sub-
stance molle, pulpeuse. Son derme est à peu
près de la même couleur que celui d’un blanc
à peau brune; mais recouvert du corps réti-
culaire, il offre une teinte analogue à celle des
Indiens ou des mulâtres.
La teinte dit nègre ne provient pas d’une li-
queur noire; aucune humeur ne possède
chez eux plus que chez les blancs cette
couleur particulière.
Si la peau des nègres contenoit une liqueur,
noire, il existeroit quelque moyen de l’en dé-
gager, & l’on n’a pu en trouver aucun. D’ail-
leurs elle teindroit la sérosité contenue dans les
cloches des vésicatoires, & cette sérosité est la
même chez le noir & chez le blanc.
Concluons donc que le siège de la couleur
des nègres se trouve dans les premières cou-
ches des tégumens communs & le réseau mu-
queux, qui s’opposent chez eux à la transmis-
sion des rayons lumineux provenant des parties
blanches & rouges situées au-dessous.
Quand on réfléchit que la couleur des peu-
ples va toujours prenant des teintes plus fon-
cées, à mesure qu’on approche davantage du
midi, on demeure convaincu que le climat est
[Seite 238] la cause la plus générale de la coloration de la
peau, & que l’action du soleil en détermine
surtout les effets. Nous le voyons même, in-
dépendamment de toute autre cause, tendre
continuellement à priver la peau de la couleur
blanche qui lui est naturelle; & si les rayons
de cet astre brunissent bientôt le plus beau
teint, ce qui est un pas de fait vers la cou-
leur des peuples d’Ethiopie, leur action con-
tinuée pendant des milliers de siècles, peut
bien enfin le faire passer décidément au noir,
& donner à la peau la densité & l’épaisseur qui
distinguent celle des Nègres. Cette texture
plus ferrée, & cette augmentation d’épaisseur
pourroient bien contribuer à la couleur noire,
en diminuant la transparence de la peau. On
observe en effet que la substance du corps ré-
ticulaire s’approche plus de la nature de la
membrane à proportion que la peau s’obscur-
cit davantage. Plus l’épiderme est épais, plus
ses lames sont nombreuses, plus sa texture est
serrée, plus il doit y avoir de rayons de lu-
mière interceptés au passage, & plus la peau
doit perdre de sa blancheur. Observons enco-
re que l’épiderme est moins fin chez les per-
sonnes qui ont le teint foncé & sur les régions
du corps les moins blanches. Vers le pôle où
les hommes sont exposés continuellement aux
intempéries d’un ciel rigoureux, ils avoient be-
[Seite 239] soin d’avoir la peau plus épaisse & plus dense,
& ils ont aussi le teint fort rembruni. Cette
augmentation d’épaisseur & de densité rendoit
nécessaire la graisse qui préserve la peau de
l’Africain des cassures & l’assouplit: l’homme
du pôle en est également pourvu. Si l’on ne
veut pas voir là une Providence, il faudra
soupçonner que le froid & la chaleur sont le
même effet, en agissant tous deux sur la peau,
comme stimulus. S’il en est ainsi, d’où vient
que l’habitant des extrémités septentrionales de
la Suède & de la Norwège n’a rien de tout
cela & est si blanc? Au reste, on remarquera
des nuances dans la couleur & la finesse de la
peau des nègres; leurs enfans, qui l’ont plus
fine, sont moins noirs, & peuvent avoir la
jaunisse.
La manière de vivre doit encore contribuer
à la couleur de la peau.
C’est en Afrique que se trouvent les vérita-
bles nègres: dans presque toute cette partie du
monde l’aridité du sol, le sable augmentent
l’action du soleil en la repercutant; dans les
autres pays chauds, la terre se couvre de vé-
gétaux qui tempèrent la chaleur par l’ombra-
ge & les exhalaisons, tandis que les nègres
vont nuds sur une terre dépouillée, sans eau
pour se désaltérer. Les Européens au con-
traire peuvent se procurer un abri contre la
[Seite 240] chaleur qui ne les frappe jamais d’ailleurs au-
tant: ils mènent une vie douce, efféminée,
molle en comparaison de celle des noirs, &
l’on sait ce que cela peut produire sur la cou-
leur de la peau. On le voit même parmi les
habitans d’un même lieu, à proportion de leur
manière de vivre, particulièrement chez les
femmes.
Le climat & la manière de vivre paroissent
donc la cause de la couleur noire des habi-
tans de la Zône Torride, tandis que les cou-
tumes des peuples du nord contribuent à leur
blancheur.
La teinte des peuples colorés semble telle-
ment une variété héréditaire par accident, pro-
venant du climat qu’ils habitent, qu’il suffit d’u-
ne légère circonstance, comme le voisinage
d’une montagne, d’un pas fait vers le nord,
d’un sol plus élevé & moins aride, pour l’affoi-
blir ou même l’effacer entièrement. Bouguer
(figure de la Terre) a eu occasion d’observer
que les sauvages qui habitent au pied de la
Cordilière, & du côté de l’occident, sont
presque aussi blancs que nous, tandis qu’en
s’éloignant de cette montagne, en avançant vers
la côte, les Indiens reprennent leur couleur
de cuivre. On lit dans une collection de voya-
ges par Chorchil, que les habitans de la Ne-
gritie sont plus noirs que ceux de la Côte d’or,
[Seite 241] à l’exception des peuples, qui vivent sur la rive
septentrionale du fleuve Sénégal, qui ne sont
plus que basanés. Dans l’intérieur de l’Afrique,
où les terres sont élevées & montagneuses, où
des pluies abondantes & continuelles tempè-
rent la chaleur & rafraichissent l’air au point
de faire de ce climat une région tempérée,
les hommes, suivant les observations les plus
récentes, sont presque aussi blancs que les
Européens. Que de variétés n’observe-t-on
pas parmi ces derniers? Les Bohémiens pa-
roissent presque noirs: les Saxons, leurs voi-
sins, ont le plus beau teint, les Bavarois sont
demi-basanés. S’il suffisoit de la couleur,
pour former des races, il y en auroit presque
autant que d’individus. On remarque aussi des
rapports frappans en certaines parties du corps
des Négresses & des Européennes qui ont la peau
brune. Le blanc paroit d’ailleurs tellement
la couleur primitive du genre humain, qu’il
tend continuellement à revenir: les Nègres
eux-mêmes l’apportent en naissant, jusques
dans les régions les plus brûlantes du midi,
& pâlissent dans leurs maladies; mais une fois
que la blancheur a fait place au noir des Afri-
cains, la peau reprend difficilement sa cou-
leur originelle. Un seul jour suffit en effet,
pour ternir les lys de la peau européenne, tan-
[Seite 242] dis qu’il faut des mois entiers pour qu’ils re-
prennent leur premier éclat.
Le climat n’influe pas seulement sur certai-
nes formes de l’homme & sur sa couleur, mais
aussi sur les moeurs, sur son intelligence, sur
ses passions, sur ses sens. Certaines nations, les
sauvages en particulier, se distinguent par la
finesse de plusieurs sens. Il en est chez qui,
par exemple, celui de l’ouie est d’une suscep-
tibilité particulière. De-là peut-être, sinon
l’invention, au moins la perfection du langage
qui est presque partout en harmonie avec le
climat, avec les moeurs, avec le caractère des
peuples. Rude au Nord, dans les montagnes, sur
les côtes d’une mer toujours irritée, il est doux
au midi, dans les plaines, sur les bords d’une
mer tranquille. Cette teinte propre se con-
serve, malgré les émigrations, les révolu-
tions, & se fait remarquer jusques dans les
dialectes, jusques dans les patois, & même
dans les jargons populaires des divers quartiers
d’une même ville. L’influence du climat se
fait encore sentir sur les passions, du Nord au
Sud, des montagnes aux vallées & aux plai-
nes, des terreins secs aux sols humides. L’i-
magination, la mémoire, en un mot plusieurs
facultés physiques & morales sont plus ou
moins susceptibles de subir par-là des mo-
[Seite 243] difications(f). Supposera-t-on donc aussi di-
verses races d’hommes pour ces diverses pro-
priétés qui mettent quelquefois plus de diffé-
rence entr’eux que la couleur même, ou la
nature des cheveux? Consultons l’histoire, les
religions, les sciences, les arts, les langues,
les écritures alphabétiques, tout montre que le
genre humain ne forme qu’une seule & même
race. C’est ce qu’a prouvé M. William Jo-
nes à l’égard des peuples de l’Asie & des na-
tions les plus célèbres de cette partie du monde.
On découvre en effet les rapports les plus frap-
pans entre la religion Indienne & celles des
Egyptiens, des Perses, des Hébreux, des
Grecs & des autres peuples occidentaux, &
ces coutumes semblent aussi antiques que les
nations qui les offrent. On les voit adorer les
mêmes dieux, les honorer par des cérémonies
semblables, les représenter sous les mêmes
[Seite 244] symboles. Partout le triangle présente l’em-
blême de ces trois pouvoir, créer, conserver
& détruire; de-là les trois têtes sur la figure
des Dieux dans tout l’orient, le Jupiter tricé-
phale chez les Grecs; le serpent annonce le
pouvoir qui donne la vie aux hommes. On
voit, dans la pagode d’Elephanta, Vichenou à
qui Brama, son père, dit de développer tou-
tes les vies qu’il a dans son sein, tenir à sa
main le serpent; l’oeuf du monde dans la gueu-
le du serpent, symbole du Cneph des Egyp-
tiens; enfin ce reptile entourer encore l’oeuf
du monde dans les médailles phéniciennes &
grecques.
On voit ainsi la ressemblance entre le systè-
me occidental & celui oriental, s’étendre jus-
ques dans le Nord de l’Europe & l’office & le
pouvoir des Druides différer peu de celui des
Brahmes dans l’Inde. On trouve également
que les Etrusques de qui les Romains ont tiré
la plus grande partie de leur doctrine & de leur
religion avoient un système qui ressembloit beau-
coup à celui des Perses & des Indiens, & qu’ils
écrivoient, comme eux, alternativement à
droite & à gauché. (Diss. relat. & Asiat.
T. 2. p. 348. Dictionnaire de Mythologie par
Noel, – Mythologie comparée avec l’histoi-
rè par Tressan).
Les hommes ont bien pu, sans se commu-
[Seite 245] niquer, imaginer d’adorer le soleil, la lune,
les étoiles, croire les bois & les fleuves habités
par des esprits ou des génies; mais qu’ils in-
ventent les mêmes cérémonies, pour adorer
leurs Dieux, & surtout qu’ils leur assignent
les mêmes attributs, les mêmes noms, voilà
ce qui ne peut-être l’effet du hasard, & certes
ils ne seroient pas philosophes ceux qui croi-
roient à un tel hasard.
Les recherches les plus profondes en litté-
rature démontrent donc, comme celles en
histoire naturelle, l’unité du genre humain,
vérité que les livres sacrés annoncent, dès la
première page, sans doute asin qu’étant bien
persuadés que nous sommes tous enfans d’un
même père, nous soyions d’autant plus portés
à traiter tous les hommes comme nos frères.
Les sentences & les raisonnemens des sages
peuvent-ils jamais rien dire de plus touchant,
de plus efficace, surtout aux riches & aux puis-
sans, ou pour combattre les préjugés & les
haînes de Nation à Nation?
La savante préface faite, par M. Chardel
m’a fourni le fond de ce que j’ai dit jusqu’ici,
& j’y ai inséré le principal de ce qui se trou-
ve dans la première Section de l’ouvrage mê-
me du célebre Professeur de Göttingue. Ce-
lui-ci traite ensuite la matière plus scientifi-
quement: nous allons le suivre. Souvent je
[Seite 246] le laisserai parler lui-même, tout en abrégéant
ses phrases.
7‘„Les animaux, dit-il, sont de la même
espèce, lorsqu’ils offrent entr’eux de si nom-
breux rapports qu’on se voit forcé d’attribuer
à la dégénération les différences qui les sépa-
rent.”’
‘„Quand au contraire ces différences sont
si essentielles qu’elles ne s’expliquent point par
les causes communes, on regarde comme étran-
gers les uns aux autres les animaux qui les
présentent.”’
‘„On considère, en général, comme de la
même espèce ceux qui peuvent propager en-
semble.”’
Ces données prises comme des espèces d’axi-
ômes, l’auteur ajoute: ‘„je préfère tirer mes
inductions de l’analogie en recommandant d’a-
voir sans cesse présentes à l’esprit ces deux rè-
gles de philosophie du grand Newton:’
1°. Tout effet naturel semblable doit être
rapporté aux mêmes causes.
‘„Ainsi, lorsque j’indiquerai les causes de
la différence de structure des peuples divers,
elles se trouveront nécessairement les mêmes
que celles qui ont produit des changemens ana-
logues chez les animaux domestiques dispersés
dans tous les climats.”’
2°. Il ne faut pas en histoire naturelle ad-
[Seite 247] mettre plus de causes qu’il n’est nécessaire pour
l’explication des phénomènes.
‘„Si la dégénération me paroit donc expli-
quer suffisamment les variétés de structure du
genre humain, je regarderai comme inutile
d’y reconnoître différentes espèces.”’
‘„Je me bornerai à examiner les animaux,
& surtout les mammifères, parceque leur struc-
ture se rapproche le plus de celle de l’hom-
me.”’
Notre auteur cite alors successivement des
exemples nombreux de dégénération pour la
couleur, la texture des poils, la stature, (par
exemple: le cochon d’Europe transporté à
Cuba est devenu du double plus grand; les
boeufs ont éprouvé le même changement dans
le Paraguay;) la forme & la proportion des
parties; (il se trouve, entr’autres, une assez
grande différence entre les chevaux arabes &
syriaques & ceux du nord de l’Allemagne,
entre les boeufs haut-montés du Cap de Bon-
ne-Espérance & ceux à courtes jambes de
l’Angleterre; des bestiaux ici ont des cornes
monstrueuses & là en sont privés, ou bien ils
sont pourvus ou dégarnis de queue,) la forme
du crâne (comme en particulier dans celui des
chevaux de diverses races, & chez les poules
Padouanes).
Passant aux causes de dégénération, M. Blu-
[Seite 248] menbach examine les impulsions génératrices
contrariées ou croisées, les effets du climat,
l’action des gaz, de la lumière, de la chaleur,
de la matière électrique qui composent l’air, sur
les poumons & de-là sur le sang, sur les soli-
des. Puis il considère les modifications pro-
duites par l’inégalité du sol, les montagnes,
plaines, fleuves, vents, mers, lacs, bois, &c.
Des animaux sont blancs au nord, ailleurs d’u-
ne autre couleur: il en est qui changent avec
les saisons. Au contraire, la noirceur des
animaux de Nigritie & la blancheur de ceux
d’Angora se conservent constamment pendant
une longue suite de générations, dans des pays
très-éloignés. La nourriture a aussi quelque-
fois beaucoup d’influence: on le voit ainsi par
rapport à la couleur des alouettes & des moi-
neaux, selon la diversité de la graine qu’ils
mangent, en des bestiaux, d’après les qualités
des pâturages, chez des chenilles, suivant
l’espèce de feuilles dont elles se substantent.
De-là le poids & la saveur des animaux en
sont changés de même que les autres accidens.
Le genre de vie y influe encore: on le recon-
noit dans les chevaux & les cochons sauvages
ou domestiques, aux oreilles & à la queue pen-
dantes des animaux domestiques.
Venant aux Générations métives, d’abord
se présentent les mulets de diverses sortes.
[Seite 249] L’union des serins verts & des blancs produit
une espèce nouvelle pour la couleur ou pour
les formes. Le croisement des races de che-
vaux, de moutons, &c. offre également plu-
sieurs phénomènes remarquables.
On n’ignore pas qu’il existe des qualites hé-
réditaires provenant d’une constitution mala-
dive: de-là des vices ou formes héréditaires,
comme le bégaiement, les lèvres dites Autri-
chiennes, communes à tous les individus de la
maison d’Autriche, la conformation des nez en
certaines familles, &c.
Le savant Professeur pose après cela les
corollaires suivans:
1°. Plus le concours des causes de dégéné-
ration est nombreux, plus leur action se pro-
longe sur une même espèce, plus elles en
altèrent les formes primitives.
Sous ce rapport aucun animal n’entre en
comparaison avec l’homme. Il est omnivore,
Cosmopolite, & soumis à la vie domestique,
presque dès son origine, longtemps avant les
autres animaux. Les effets du climat, de la
nourriture & du genre de vie se trouvent donc
réunis chez lui depuis un temps considérable.
2°. Une cause de dégénération, assez puis-
sante d’ailleurs, peut être modifiée & même
annullée par des circonstances particulières,
surtout si leurs effets lui sont absolument op-
[Seite 250] posés. Tels sont, entr’autres, les effets des tem-
pératures, des sols, &c.
3. Souvent un phénomène remarquable de
dégénération est moins un produit immédiat,
qu’un produit éloigné d’une cause qui échap-
pe aux premiers regards.
La couleur foncée de plusieurs nations ne
dépend pas uniquement de l’action du soleil sur
la peau; mais aussi de son influence sur le foie.
4°. Les changemens dûs à des causes éloig-
nées sont les plus intimes, les plus fortement
empreints, ceux qui se propagent avec le plus
d’opiniâtreté dans les générations suivantes.
Voilà, je pense, continue-t-il, pourquoi
la couleur noire des habitans de la zône torri-
de persiste beaucoup plus sous un ciel étranger
que la couleur blanche des peuples du Nord.
5°. Les influences médiates de semblables
causes peuvent être si éloignêes qu’elles aient
même échappé à nos conjectures. On y doit
rapporter tous les phénomènes de dégénéra-
tion encore énigmatiques.
‘Sans doute, il faut aussi attribuer à ces cau-
ses médiates, en grande partie, inconnues,
les formes nationales du crâne, la couleur des
yeux chez des races entières”’ &c.
7J’ai dit que j’écarterois de cet extrait les
détails anatomiques: je renvoie donc à l’ou-
vrage même pour ceux que l’auteur donne à
[Seite 251] l’occasion de ses recherches sur le siège de la
couleur de la peau, d’autant que j’en ai déjà
parlé page 234 & suiv. M. Blumenbach divise les
variétés nationales, par rapport à la couleur, en
cinq classes. 1°. La blancheur, Européens,
joues vermeilles; 2°. jaune ou couleur de buis,
nations Mongoles; 3°. le bronté ou cuivre
rouge, orange foncé comme ferrugimeux, peu-
ples de l’Amérique; 4°. basané, tenant le
milieu entre la couleur de la chataigne & cel-
le du girofle, Malais & habitans de l’archipel
Austral; 5°. noir, plus ou moins foncé, au
Brésil, à la Californie, aux Indes, aux îles
de la mer du Sud.
Venant à examiner les causes de la variété
des couleurs, le Professeur donne des expli-
cations anatomiques & chimiques de ce qui
produit le noir ainsi que la couleur & l’odeur
de l’huile animale de certains peuples. A
cette occasion, il fait remarquer que les Mau-
res ne sont pas naturellement noirs. La teinte
foncée de leur peau est due presque entière,
ment à l’action du soleil. Cette vérité est
prouvée en Espagne, en Italie, partout enfin
par la couleur de la peau des femmes qui évi-
tent le contact de l’air: aussi celles des Mau-
res qui se tiennent renfermées sont blanches.
Il en est de même des créoles blanches sorties
directement ou originairement de parens Eu-
[Seite 252] ropéens: mais elles sont pâles, décolorées. On
observe de plus une différence sensible dans la
chevelure, la couleur de la peau & le feu des
regards entre les femmes nées dans nos colo-
nies & leurs soeurs qui ont pris naissance en
Europe. Les descendans des Mongols & des
Perses qui ont émigré aux Indes Orientales
offrent les mêmes caractères.
Il est reconnu généralement que l’impossibi-
lité de propager ensemble est la ligne de dé-
marcation qu’il n’est pas permis à des espè-
ces différentes de dépasser. Or les races d’hom-
mes de diverses couleurs peuvent avoir partout
ensemble une postérité qui n’est pas moins ha-
bile à se perpétuer, & même, malgré des
croisemens multipliés jusqu’à l’infini. Les prin-
cipaux produits des mélanges de blancs & de
noirs sont, comme on fait, les mulâtres & les
métis(g). Les premiers sont quelquefois su-
jets, ainsi que les nègres, à fournir un phéno-
mène particulier sur leur peau, dont le fond noir
ou brun est semé de taches blanches. Cela se
voit aussi, mais plus rarement, chez les blancs.
Ce n’est pas une maladie & la chimie en donne
l’explication, d’après la surabondance de car
[Seite 253] bone fixé dans le réseau de Malpighi où il est
rejeté avec l’hydrogène par l’action du derme,
& précipité par l’oxigène de l’atmosphère.
M. Blumenbach cite ensuite des exemples
de femmes brunies dans la grossesse & redeve-
nues blanches après l’accouchement. Puis il
fait remarquer que des gens habituellement sa-
les altèrent par-là la couleur de leur peau, &
quelquefois sans retour. On a vu aussi des
nègres qui pâlissent après un long séjour en
Europe, ou à la suite de longues maladies.
De-là il examine les autres propriétés natio-
les de la peau; la mollesse & le poli de celles
des nègres(h), des Caraïbes, des Otaïtiens,
des Turcs. Ce phénomène s’observe en quel-
ques animaux.
Il règne un certain accord entre les cheveux
& la peau: cependant on voit des cheveux de
diverses couleurs chez les nègres pies, des rou-
ges chez les blancs tachetés; les mélancoliques,
les sous, les criminels, les ont ordinairement
[Seite 254] noirs. On peut compter quatre principales varié-
tés nationales des cheveux, 1°. les cendrés, en-
tre le jaune & le noir, mous, longs, ondoyans,
dans les régions tempérées de l’Europe, chez
les anciens Germains; 2°. noirs, roides,
droits, peu fournis, des Mongoles, des Amé-
ricains; 3°. noirs, mous, épais, abondans,
frisés, des insulaires de la mer du Sud; 4°.
noirs crépus & laineux, des nègres. La na-
ture ne fuit pas néanmoins toujours ni partout
cette division: il y a des nègres à cheveux
longs, des nations cuivrées à chevelure crê-
pue & laineuse. Les cheveux des habitans de
la nouvelle Hollande tiennent un milieu parfait
entre ceux des nègres & ceux des insulaires
de la mer du Sud. Plusieurs Esquimaux sont
blonds: les nègres, les mulâtres ont quelque
fois les cheveux rouges. – On a remarqué
aussi de l’accord entre la couleur de l’iris &
celle des cheveux: Aristote a observé que la
couleur des yeux suit celle de la peau, qu’ils
sont bleus, si elle est blanche, & noirs, quand
elle devient obscure. En général, la couleur
des yeux ne varie que chez les animaux dont
la teinte de la peau & des poils n’est pas cons-
tante: comme on le voit dans les chevaux
les chiens, les chats, les moutons, & surtout
chez les lapins. Les yeux affectent d’avoir
certaines couleurs: Aristote assignoit avec rai-
[Seite 255] son trois couleurs principales à l’iris des yeux
humains: 1°. le bleu, 2°. l’oranger obscur
(vulg. yeux de chèvres) sous-variété yeux
vert-cendre, 3°. le brun-noir. Ces trois cou-
leurs se trouvent chez tous les peuples; mais
chacune est plus dominante en certaines con-
trées qu’en d’autres: suivant Linnée, les habi-
tans de la Gothie Suédoise ont les yeux bleu-
cendré & les cheveux d’un blond de filasse,
les Finois des cheveux blonds & des yeux
bruns, les lapons des yeux & des cheveux
noirs. Des cheveux blonds & des yeux bleus
forment le caractère originel des Germains.
L’iris des nègres est d’un noir si foncé qu’on
la distingue à peine de la pupille. En géné-
ral, les peuples ont chacun un visage national;
mais les variétés individuelles sont considé-
rables dans tous les pays: on voit même des
visages nègres ou mongoles en Europe & des
figures Européenes chez les Nègres. Les va-
riétés nationales du visage se subdivisent en
celles de provinces, de villes. On peut re-
garder comme causes des formes nationales du
visage les effets des passions, des habitudes,
des moeurs, de la religion & surtout du cli-
mat; des peuples ont perdu, en émigrant, la
forme originelle de leur visage, & pris celle
qui appartenoit à leur nouvelle patrie; tels
sont en particulier les créoles blancs des An-
[Seite 256] tilles qui ont celle des Américains; témoin en-
core les divers conquérans de l’Inde & de
l’Egypte; des momies ont des figures de nè-
gres, d’autres d’indiens, d’autres d’égyptiens
propres. Les Lapons & les Hongrois ont une
origine commune, ainsi que plusieurs auteurs
l’ont fait voir & que l’analogie de leurs lan-
gages le montre: les premiers ont les traits
des nations septentrionales; on reconnoit dans
les autres des peuples voisins de la Grèce &
de la Turquie. ‘„J’observe dit Volney, (Voya-
ge en Syrie & en Egypte T. I. p. 74.) que
la figure des Nègres représente précisément
cet état de contraction que prend notre vi-
sage, lorsqu’il est frappé par la lumière, &
une forte réverbération de la chaleur. Alors
le sourcil se fronce, la pomme des joues
se lève, la paupière se serre, la bouche fait
la moue. Cette contraction qui a lieu per-
pétuellement dans le pays chaud & nu des
Nègres, n’a-t-elle pas dû devenir le ca-
ractère propre de leur figure.”’
Dampierre remarque à l’égard des habitans
de la partie occidentale de la nouvelle Hol-
lande que ‘„leurs paupières sont toujours
demi-fermées, pour empêcher que les mou-
ches ne leur donnent dans les yeux; de-là
vient qu’étant incommodés de ces infectes,
dès l’enfance, ils n’ouvrent jamais les yeux
[Seite 257] comme les autres peuples.”’ T. II. p. 169.
Des affections morbifiques habituelles, dues
au climat doivent influer sur les nations com-
me sur les individus. Il en est encore ainsi
de la manière de vivre: le nez écrasé des nè-
gres peut provenir de ce que leurs mères les
portent sur le dos, en les allaitant. Il est cer-
tain d’ailleurs que les Nègres, les Brésiliens,
les Caraïbes, les peuples de Sumatra, des îles
de la Société, &c. dépriment & applatissent
soigneusement le nez des nouveaux nés. Dans
cette opération, les os propres du nez sont
quelquefois luxés ou fracturés. Les formes
nationales s’altèrent par le mélange avec d’au-
tres peuples. Les Juifs ne changent pas: ils
ne s’allient qu’entr’eux. Les crânes ont aussi
des formes proprement nationales: la forme
de la figure & celle des os de la tête ont en-
tr’elles des rapports intimes. Il existe une
différence aussi immense entre le crâne d’un
Kalmouck & celui d’un Africain qu’il s’en
trouve entre leurs figures. Les formes du crâ-
ne divergent de côté & d’autre, dans l’espèce
humaine, comme les couleurs de la peau où
les variétés de cette sorte: elles se confondent
insensiblement les unes & les autres avec cel-
les qui les avoisinent: on ne sauroit néanmoins,
en général, leur refuser de la constance; elles
sont même un des principaux caractères qui
[Seite 258] déterminent la manière d’être nationale, & el-
les répondent parfaitement à la physionomie
des peuples. Spiegel & d’autres anatomistes
célèbres, engagés par cette stabilité, ont cher-
ché à établir une règle générale de dimension
à laquelle on eût pu rapporter les variétés des
crânes, & qui eût servi à les disposer en or-
dre. Camper a imaginé deux lignes qui se
coupent en formant un angle sur la face. Il
prétend que la grandeur de cet angle constitue
la différence des crânes des variétés humaines
& des brutes; mais il ne semble pas lui-mê-
me très-sûr de son système, par la manière
diverse dont il pose ces lignes sur différens su-
jets; & un examen exact des crânes de plu-
sieurs peuples & quelquefois d’individus de la
même nation montre que ce ne peut-être là
une règle certaine. M. Blumenbach préfère
les regarder par derrière sur une ligne verti-
cale. – Il compte cinq variétés nationales des
crânes, Géorgiens, Nations Mongoles, Nè-
gres, Américains, races Malaies dans l’océan
austral. Ces formes nationales s’apperçoivent
dès l’enfance. Quant aux causes des variétés
nationales du crâne, on sait que les os sont les
parties les plus denses, les plus solides du corps
humain, & en forment à la fois la charpente
& le soutien. La physiologie & la patholo-
gie démontrent qu’ils sont exposés à des chan-
[Seite 259] gemens beaucoup plus fréquens que les par-
ties molles. Ils se détruisent sans cesse, leurs
élémens sont resorbés, d’une manière insensi-
ble, & le torrent de la circulation leur en
apporte de nouveaux qui, déposés au même
lieu que les anciens, se solidifient & les rem-
placent. Ce changement continu des os s’ob-
serve dès leur première formation: c’est par
lui qu’ils s’accommodent aux parties voisines dont
l’action les modèle, phénomène que rend sur-
tout évident la configuration du crâne à un
âge avancé: la face interne de sa bâse paroit
alors avoir été sculptée par les lobes & les
circonvolutions du cerveau qui se reposent sur
elles. L’extérieur ne présente pas des traces
moins marquées de l’action musculaire, & l’on
peut, d’après la forme des os de la face, devi-
ner assez facilement quelle étoit la physionomie
habituelle. Si le climat influe, autant qu’il
le paroit, sur le visage, il est évident qu’il le
fera sur la forme des crânes, surtout sur celle
des os de la face. Il s’y joint des causes ac-
cessoires, par exemple une forte pression
longtemps continuée. Chez presque tous les
peuples anciens & modernes on déforme la
tête des nouveaux nés, de diverses manières.
Les différentes nations de l’Amérique ont cet
usage qui fut défendu en particulier à ceux de
la partie méridionale par un Synode tenu à
[Seite 260] Lima, en 1585. ‘„Le nom d’Omaguas, dans
la langue du Pérou, dit La Condamine,
ainsi que celui de Cambevas, que leur don-
nent les Portugais du Para, dans la langue
du Brésil, signifie tête-plate: en effet ces
peuples ont la bizarre coutume de presser
entre deux planches la tête des enfans qui
viennent de naître, & de leur procurer l’é-
trange figure qui en résulte, pour les faire
mieux ressembler, disent-ils, à la pleine lu-
ne, Mémoires de l’Académie des sciences de
Paris, 1745, p. 427.’(i)On pourroit conclure des systèmes d’Hip-
pocrate & de Buffon sur la génération que les
formes d’abord accidentelles deviennent héré-
ditaires avec le temps. Les dents sont sujet-
tes de même à des variétés nationales, dues
en partie à la diversité de la nourriture qui varie
les formes par l’effet de la mastication, soit
pour la chair crue ou les végétaux. Certains
peuples Nègres, Malais, Chinois, Javanois li-
ment leurs dents. Il y a également des varié-
tés nationales par rapport aux oreilles: celles
des anciens Bataves avoient une forme & une
[Seite 261] situation particulières; certaines nations sau-
vages les ont mobiles & éloignées de la tête. −
Il ne se trouve pas moins de diversités relati-
vement aux mamelles: celles des femmes de
quelques nations sauvages, surtout d’Afrique
& de plusieurs îles de la mer Pacifique sont
longues & pendantes. On en voit de telles
dans le Nord de l’Irlande & chez les Morla-
ques; cela vient de ce que les femmes don-
nent à teter à leurs enfans, en les portant sur
le dos ou à califourchon sur les hanches. Chez
certains peuples les femmes regardent cela
comme une beauté & ont recours à l’art, pour
se la procurer; de jeunes filles le sont aussi,
pour paroître femmes. Au témoignage de Ju-
venal, les femmes d’Egypte avoient des mamelles
volumineuses. D’autres parties des femmes ont
une forme ou une grosseur particulières, mais
cela est dû principalement à l’art. Que si l’on
considère les jambes, on trouvera que les In-
diens les ont très-longues, les Mongoles fort
courtes & les habitans de la Nouvelle Zélan-
de très-volumineuses. Celles des Kalmoucks
sont torses, ce qui vient de la forme du ber-
ceau des enfans & de l’équitation à laquelle on
les habitue, dès le premier âge. Les insulai-
res de la terre de Feu ont les pieds extrême-
ment difformes. Les Africains, surtout les
Egyptiens, les Ethiopiens & les Nègres, ont
[Seite 262] les jambes cambrées, certaines nations nègres
les ont menues, d’autres démésurément gros-
ses. Les jambes des Américains sont aussi
cambrées pour l’ordinaire, mais moins que
celles des Nègres(k). Les Indiens, les Chi-
nois, les Kamchadales, les Eskimaux, les
Péruviens, les Hottentots, les habitans de la
Nouvelle Hollande ont les pieds & les mains
infiniment petits. Les Chinoises le doivent
en partie à l’art, mais cela vient aussi de la
manière de vivre & de se nourrir, de la pro-
fession qu’on exerce, de l’état d’aisance ou de
misere où sont tant les peuples que les individus.
La stature est en général, comme elle a
toujours été, la même partout. Les Danois,
les Suédois, les Suisses de quelques Cantons
[Seite 263] l’ont plus haute, les Lapons plus courte que
celle ordinaire. Les variétés nationales sur ce
point ne sont pas difficiles à expliquer. On ne
sauroit prouver qu’il y ait eu des peuples géans
ni pigmées. Les rapports sur les Patagons,
dont le vrai nom est Teheulete, sont très-ambi-
gus & pour ainsi dire contradictoires. Au reste,
ils peuvent avoir une taille plus qu’ordinaire
sans qu’elle soit gigantesque, d’autant qu’en
général les Américains sont très-grands, &
qu’ils ne s’allient qu’entr’eux. On prétend
qu’il se trouve dans les montagnes de Mada-
gascar une race de nains, qu’on appelle Qui-
nios ou Kimos; mais cela n’est nullement prou-
vé, & il est apparent que ce sont des Cretins,
comme il y en a en Suisse. Le climat, la nour-
riture, les moeurs, les habitudes contribuent à
ces variétés. Les jouissances précoces s’op-
posent au dévéloppement de la taille. Les
nations, les familles mêmes qui ne s’allient
qu’entr’elles ont une taille qui leur semble
propre. Il faut reléguer parmi les fables les
récits d’hommes qui n’ont qu’un oeil, ou qui
ont une tête de chien ou une seule jambe,
&c. Il en est de même des hommes à queue.
On ne sauroit citer aucun auteur digne de foi;
qui assure avoir vu toute une nation confor-
mée ainsi. Des individus peuvent avoir au
coxis une excroissance extraordinaire, ce n’est
[Seite 264] qu’une monstruosité. A l’égard des variétés
nationales produites par des affections morbisi-
ques, la Leucaethopie mérite particulièrement
d’être considérée. La peau est d’un blanc vi-
cieux lacteux tirant sur un rouge contre natu-
re & présente même quelques taches d’un as-
pect lépreux; les cheveux & les poils sont
d’une blancheur particulière qui ne ressemble
ni à celle qu’amène l’âge, ni à ce beau blond
doré si commun en Allemagne. Cette couleur
ne peut se comparer qu’à celle de la crême.
L’oeil est privé du vernis noirâtre qui, dans,
l’état naturel, recouvre l’intérieur de la co-
roïde, & concourt puissamment à la vision, par
l’absorption des rayons lumineux. L’iris des
Nègres blancs est légèrement rosée & presque
sans couleur, la pupille est d’un rouge plus
vif, semblable à celui des cornalines, couleur
de chairs pâles. Cette maladie, quoique as-
sez commune chez les Négres, s’observe dans
routes les variétés de l’espèce humaine: M. Blu-
menbach en a vu seize exemples en différentes
parties de l’Allemagne. On en a observé en
Danemarck, Angleterre, Irlande, France,
Suisse, Italie, aux îles de l’Archipel grec,
en Hongrie, chez les Arabes, les Malabares
les Madécasses, les Caffres, les Nègres Afri-
cains & ceux d’Amérique. On en a vu à l’isth-
me de Darien, au Brésil, dans l’océan In-
[Seite 265] dien, à Sumatra, à Bali, à Amboine, à Ma-
nille, dans la Nouvelle Guinée, aux îles des
Amis, & de la Société. Elle est incurable &
héréditaire, mais non pas épidémique. On
la trouve chez les singes, les lapins & plu-
sieurs autres sortes d’animaux, & parmi les oi-
seaux, chez les corbeaux, les merles, les
serins, les perdrix, les paons, les poules, &
non dans les animaux à sang froid.
M. Blumenbach termine son ouvrage, par
des détails sur les caractères des diverses races
humaines qu’il reconnoit: il les donne succes-
sivement & on les trouvera ci-après. Mais,
pour qu’on puisse mieux connoître, d’un coup
d’oeil, & l’ensemble & les différences, j’ai
formé des principaux traits de ces races un
Tableau synoptique, au dessous duquel j’en ai
mis d’autres que j’ai composés également d’a-
près les hommes les plus célèbres en ce genre
& ceux qui en ont traité le plus récemment.
Cette méthode d’envisager les données des
sciences en esquilles a de très grands avantages.
Au revers de ces Tableaux s’en trouvent d’au-
tres des produits des croisemens des races: ce
qui a rapport à ce qu’on lit page 252.
J’ai donné, dit M. Blumenbach, à cette variété le nom
du Mont Caucase, parceque c’est dans son voisinage que
se trouvent la plus belle race d’hommes, la Géorgienne,
& que s’il est possible d’assigner un berceau au genre hu-
main, toutes les raisons physiologiques concourent à la
placer dans cet endroit. Les habitans de la Géorgie nous
offrent en effet cette belle forme des crânes dont les autres
semblent dériver, jusqu’à ce qu’ils arrivent aux points les
plus éloignés, les crânes des Mongoles & des Nègres.
Enfin la peau des Géorgiens est blanche, & cette cou-
leur paroit encore appartenir primitivement au genre hu-
main, mais elle dégénère facilement en une couleur noirâ-
tre, & se rétablit avec peine, quand la secrétion & la
précipitation du Carbone se sont profondément établies.
Cette variété est la même que l’on connoissoit sous le
nom vague & indéterminé de Tartare: Cette dénomina-
tion a causé beaucoup d’erreurs dans l’étude des variétés
du genre humain. Buffon & ceux qui l’ont suivi, trom-
pés par elle, ont transporté les caractères nationaux des
Mongols, tirés des anciens auteurs, qui les appeloient
Tartares, aux vrais Tartares qui appartiennent, comme je
l’ai dit, à la première variété. Au reste les Tartares se
confondent avec les Mongols par les Kirguis & les peu-
ples voisins, comme les Mongols avec les Indiens, les
[Seite 267] Thibetains, avec les Américains par les Esquimaux, avec
les Malais par les habitans des îles Philippines.
Cette variété se trouve si loin de nous, surtout sous
le rapport de la couleur, que plusieurs personnes ont
cru qu’elle formoit une espèce particulière. Voltaire,
aussi ignorant en Physiologie qu’habile à manier le ridicu-
le, partageoit cette opinion. Il devient inutile de la ré-
futer, ayant rendu manifeste qu’il n’existe pas même un
seul caractère tellement propre & commun à tous les
Ethiopiens, qui ne se retrouve, d’une part, répandu çà &
là dans les autres variétés du genre humain, qui ne man-
que aussi à beaucoup de nègres; enfin qu’il n’en est aucun
qui ne se confonde insensiblement avec ceux des variétés
voisines. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner avec
soin seulement, chez quelques nations noires, les diffé-
rences qui les séparent, & comment elles forment chez
les Foulachs, les Golofres, les Mandingues, les grada-
tions, qui les rapprochent des Maures & des Arabes
Des observations exactes & multipliées prouvent qu’il
est faux que les Américains soient imberbes & tous de la
même figure. Ils s’arrachent soigneusement le poil,
comme le font d’autres peuples, particulièrement dans les
nations Malaies & Mongoles. Les Américains ont, com-
me ces derniers, la barbe fine & peu fournie. On a dé-
bité aussi à l’égard des femmes Américaines, une assertion
tout aussi fausse. La couleur de la peau des Américains,
loin d’être uniforme, arrive jusqu’au noir: le climat &
les lois de la dégénération expliquent facilement pourquoi
ces peuples, qui semblent venir de l’Asie septentrio-
[Seite 268] nale(a), n’ont pas des tons de couleurs aussi variés que
les autres races provenant de la même origine répandues
dans l’ancien continent. Les premiers Européens qui vi-
sitèrent le Nouveau Monde trouvèrent avec raison que
ses habitans, avec qui ils ne s’étoient pas encore mêlés,
ressembloient aux Mongoles, & c’est un nouveau motif
de croire qu’ils tirent leur origine de ce peuple, par l’Asie
septentrionale(b). Ces migrations se firent probable-
ment à plusieurs fois, à des intervalles éloignés, & fu-
rent causées par des catastrophes politiques & physiques.
Voilà, si l’on peut se livrer à des conjectures, pourquoi
les Esquimaux ressemblent plus aux Mongoles que les au-
tres Américains. Ils ont du en effet émigrer le plus tard,
& le climat qu’ils venoient habiter différoit peu de celui
de leur patrie. Je pense aussi que le climat dont l’action
puissante conserve & rappelle les traits Nationaux est cau-
se que les habitans des régions froides de l’extrémité
méridionale de l’Amérique, comme les Sauvages du dé-
troit de Magellan, se rapprochent davantage de leur an-
cien visage Mongole, & y reviennent, pour ainsi dire.
Linschotan, célébre voyageur & observateur très-exact,
compare aux Samoïedes les habitans du détroit de Ma-
gellan pour la physionomie, le visage, la couleur, les
cheveux & la barbe.
La variété Américaine fait, comme nous l’avons vu la
nuance entre la variété Caucasienne, prototype, & la race
Mongole. J’appelle Malaie cette variété du genre hu-
[Seite 269] main qui habite la partie des Indes voisine de Malacca,
les îles de la Sonde, de Sandwich, de la Société, des
Amis. On observe même que depuis Madagascar jus-
qu’à l île de Paque, les indigènes ont tous l’idiôme Ma-
laie. Cette race offre de grandes différences pour la beau-
té & pour la stature: d’après cette observation, l’on a par-
tagé les O-tahitiens en deux variétés, l’une à stature éle-
vée, à peau blanche & dont les traits diffèrent à peine
de ceux des Européens; l’autre, au contraire, est d’une pe-
tite taille, a les cheveux crépus & ressemble assez aux
mulâtres, par la couleur & la forme du visage. Elle a
beaucoup de rapports avec les habitans des îles occiden-
tales de la Mer du Sud, qui se rapprochent, surtout par
les habitans des nouvelles Hébrides, des Papous & des
insulaires de la Nouvelle Hollande, tandis que ces der-
niers se fondent, à leur tour, insensiblement avec les
Nègres, de manière qu’on pourroit les placer dans le mê-
me cadre, dans la distribution des variétés du Genre
Humain.
Les nuances insensibles qui rapprochent tou-
tes les variétés humaines, les causes & les
modes de dégénération analogues, observées
chez les animaux domestiques, l’application
de la Physiologie & de la zoologie à l’histoi-
re de l’homme conduisent à cette conclu-
sion:
Les variétés connues du genre humain se
rapportent à une seule & même espèce.
Il y a des hommes éclairés & justes pour qui une
épigramme est la preuve la plus démonstrative possible:
il en encore est de trop instruits pour qu’on puisse leur faire
entendre ni sentir rien, sans l’appareil des formules algébri-
ques & géométriques, ou sans l’attirail des sciences po-
sitives, des sciences de fait, qui, comme on fait, sont
des plus certaines, car ni nos sens, ni notre génie, ne
nous trompent jamais, d’autant que nous ne sommes guè-
res présomptueux. Ces habiles gens ont dit avec la ju-
dicieuse dialectique qui distingue si éminemment notre sié-
cle: la Bible avance qu’Adam est le père de tous les hommes:
il devoit être d’une certaine couleur(*); or il y a des
[Seite 226] hommes blancs, des noirs, des rouges, des jaunes, &c.
ils ne peuvent avoir en pour pères que des hommes de
leurs couleurs respectives; Adam n’en a en qu’une, donc
il n’est pas le père de tous les hommes, – donc la Bible
a énoncé une chose sausse & même ridicule – donc elle
ne mérite nulle créance pour tout le reste. Répondre à
des êtres si spirituels par des autorités religieuses, ou mê-
me seulement historiques, ou enfin par des raisonnemens
justes ne feroit qu’exciter leurs charitables & aimables ri-
res. M. Blumenbach, dont la réputation de savant Natura-
liste est bien au-dessus de ce que j’en pourrois dire, a
entrepris, sinon de convaincre, ce qui n’est guères pos-
sible, quand le coeur ne le veut pas, au moins de faire
taire, sur ce point, ceux qui se disent si partisans de la
physique positive & des faits. Il ne prouve que par la
physique: il n’allégue que des faits. Certes rien ne peut
être plus touchant ni plus imposant tout à la fois que cet
accord de la science & de l’esprit religieux pour quicon.
que n’a pas résolu de rejetter à jamais les vérités qu’il a
condamnées comme importunes ou inquiétantes.
Le savant à qui nous devons la traduction en notre lan-
gue de l’ouvrage du célèbre Naturaliste Allemand y a joint
une préface, qui en est comme l’abrégé avec beaucoup
d’observations particulières des plus intéressantes. Mais ce
livre par les détails scientifiques, d’anatomie en particu-
lier, qui s’y trouvent, & qu’on devoit y rencontrer en
effet, semble ainsi destiné spécialement, & presque par
exclusion, aux personnes qui ont au moins les connois-
[Seite 227] sances préliminaires qu’il suppose. Il est vrai que ces dé-
tails ont été ménagés, à ce qu’il paroit, autant que les
auteurs l’ont pu. Cependant il en reste encore trop pour
certaines personnes, surtout pour la jeunesse. En con-
séquence j’ai cru concourir au but d’utilité générale de
M. Blumenbach & de son éditeur, en répandant davantage la
connoissance des vérités qu’ils ont démontrées, & don-
nant l’extrait de cet important ouvrage. Je desire fort
d’inspirer par-là le desir de lire l’original. Je me suis per-
mis de fondre quelquefois le texte de l’auteur primitif &
celui de la préface: cela étoit plus propre à mon plan. J’ai
pris aussi la liberté d’y enlacer quelques faits & observa-
tions, fruits de mes lectures & de mes voyages. J’aurois
dû peut être, par un juste respect pour mes auteurs,
indiquer ce qui ne leur appartient pas; mais on peut le sa-
voir en recourant à leur livre; & je n’écris pas pour éta-
ler des connoissances qu’en effet je suis loin de m’attri-
buer, surtout à côté ’de tels hommes. D’ailleurs si ce
que je dis est vrai aussi, c’est le point capital.
Les mains de l’homme sont si supérieures aux mem-
bres des animaux que le sophiste Anaxagore en conclut
que l’homme ne doit son savoir qu’à ses mains, assertion
qu’un homme célèbre a renouvellée de nos jours. Ils
auroient du en conséquence assurer que les singes ont
plus de génie & d’aptitude aux arts & aux sciences que
l’homme, car ils ont jusqu’à quatre mains, & même cel-
les de derrière sont mieux faites que celles de devant.
Les singes étant debout sont avec le sol un angle
de 45 degrés. La position & la formation des muscles
de leurs jambes prouvent, qu’ils ne sont pas destinés à
avoir cette station: ils ne peuvent en effet la garder que
momentanément.
L’homme est le seul être qui se tienne commodé-
ment assis, la nature l’ayant seul pourvu de coussins char-
nues sur lesquels il s’appuie dans cette position, & qui
lui permettent d’y rester très-longtemps.
Une autre propriété particulière à l’homme, & qui dé-
pend de la station verticale, c’est que, mesuré le matin,
il est d’un travers de doigt plus grand que le soir. Ce
fait a été observé la première fois, en 784, par un pré-
tre Anglois, nommé Wasse. – Philosophical Transac-
tions, T. 33.
L’homme vit sous toutes les températures & sup-
porte des variations considérables du poids de l’atmosphè-
re. En Sibérie, le thermomètre descend à 34 degrés au-
dessus de Zéro; au Sénégal, il monte, à l’ombre, à 40 de-
grés au-dessus, & dans le sable à 60. Ces deux termes
ne sont cependant pas, à beaucoup près, les extrêmes du
froid & du chaud que l’homme peut supporter, sans
[Seite 232] mourir. Si on évalue la surface du corps à 15 pieds
quarrés, l’atmosphère exerce sur lui, quand le baromètre
est à 18 pouces, une pression de 32235 livres. Le
plongeur en supporte une de 303350; elle n’est plus
que de 17160 sur le sommet des Cordillères. De nou-
velles expériences faites au fond des mines & au milieu
des airs offriroient, sans doute, des extrêmes bien plus
éloignés.
Cette influence est toutefois bien moins grande
que certains philosophes & quelques physiciens l’ont avan-
cé: je le prouverai dans la suite. L’homme reste hom-
me partout & en tout temps: les hommes peuvent sem-
bler changer; mais ce n’est qu’en apparence, des causes
morales y concourent bien plus que des physiques. Sans
cela l’homme seroit au-dessous de l’animal, car le tigre reste
tigre partout: nous serions à peine des végétaux & La
Métrie, qui nous fait cet honneur se trouveroit un grand
génie, un homme plus qu’homme.
On sait que ces peuples le doivent à l’huile abon-
dante que la Providence a mise sous leur peau: destinés,
comme ils le sont pour la plûpart, à habiter des climats
chauds ou froids à l’excès, sans ce réservoir salutaire, leur
peau se seroit bien facilement desséchée, cassée; leur chair,
leurs muscles eussent été exposés à se trouver découverts.
Il en seroit donc résulté une foule d’inconvéniens & de
maladies. Voyez pages 236–239.
J’ai rapporté de St. Domingue, en 1784, une tête
d’un des anciens habitans de cette île: elle étoit applatie
de même sur le devant, & ainsi sans front, à proprement
parler; mais les os latéraux d’autant plus éminens, &
toutefois plats & unis.
Généralement parlant, les femmes Angloises &
Hollandoises ont les os gros, peu arrondis, les chevilles
& autres articulations éminentes, & ainsi rarement les jam-
bes, les pieds, les mains, les bras bien faits. Il ne paroit
cependant pas que cela provienne du climat, ni de rien
de ce qui constitue la manière de vivre, car les femmes
juives de Hollande, celles d’Amsterdam en particulier,
ont ces parties mieux conformées, tandis que leurs
visages restent Juifs, Orientaux, pour la forme, & n’ont
guères non plus cette peau fine & blanche, cette belle
carnation des hollandoises dans la même ville, dans la mê-
me rue. Ce fait, quoique, vrai, n’a pourtant été, que je
sache, ni examiné, ni même observé.
v. News Views of the origin of the tribes and Nations of
America, by Benjamin Smit Barton. Philadelphia, 8°. 1798.
On y soutient que l’Amérique a été peuplée par l’Asie, &
on y donne un essai de vocabulaire, pour le prouver.