Dans un intéressant Recueil scientifique,
dont un savant médecin Italien vient de
publier le premier volume(1), se trouve la
description d’une nombreuse collection de
[Seite 72] crânes, rassemblés de différentes nations,
par le Prof. Blumenbach, de Gottingen,
dans le but d’examiner jusqu’à quel point se
confirmeroient les idées qu’il avoit énoncées
dans sa dissertation inaugurale: De generis
humani varietate. Cette description, dont
nous dirons un mot à la fin de cet article,
nous a rappelé une lettre de ce célèbre Pro-
fesseur, publiée dans un journal Anglais;
et dont nous croyons auparavant devoir don-
ner la traduction. Elle roule sur l’une des
questions qui ont le plus occupé les natura-
listes occupés de l’anthropologie, savoir s’il
y a une différence réelle et spécifique entre
les hommes blancs et les noirs, ou si les
caractères qui les distinguent ne sont que des
variétés, résultant de l’influence du climat,
ou des habitudes? Voici comment s’expri-
moit sur cet objet le savant Professeur.
‘“Dans un voyage que j’ai fait en Suisse,
j’ai vu, parmi les tableaux de la galerie de
Pommersfeld, quatre têtes de Nègres, pein-
tes par Vandyk, deux desquelles présentent
des traits si réguliers, qu’ils ne paroissent
point différer de ceux des Européens. Je
n’avois encore alors eu aucune occasion d’exa-
miner des crânes véritablement appartenans
à des Nègres. Mais je me rappelois que dans
une dissertation, lue à l’académie de pein-
[Seite 73] ture à Amsterdam, le Prof. Camper affir-
moit que lorsque la plupart des grands pein-
tres, et particuliérement Rubens, Vandyk,
et Jordaens, vouloient peindre des Maures,
ils ne faisoient que copier des têtes d’Euro-
péens, dont on avoit noirci le visage. C’est
pourquoi j’attribuois à ce procédé, l’aspect
Européen de ces deux tableaux. – Quelques
mois après, cependant, je pus me convain-
cre par moi-même qu’il y a réellement de
véritables Nègres, dont les traits correspon-
dent en tout à ceux des Européens, et qu’il
seroit par conséquent possible que les deux
dont je parle, eussent été peints d’après
nature.»’
‘»Etant à Yverdun, j’allai faire visite à deux
frères, MM. Treytorrens, dont l’un, le che-
valier, avoit été trenter-cinq ans au service de
France, et avoit passé quelques années à St.
Domingue, ce qui lui avoit fourni plusieurs
occasions d’enrichir de morceaux rares la belle
collection de curiosités naturelles qu’avoit
son frère. En entrant dans la cour d’une très-
jolie maison qui leur appartenoit, sur la route
de Goumoëns, je ne vis personne qui pût
m’introduire, qu’une femme qui me parut
avoir une belle taille, et des formes très-
gracieuses, mais dont je ne pus pas d’a-
bord voir le visage. Je l’appellai, et quand
[Seite 74] elle tourna la tête pour me répondre, je fus
très-surpris de voir que c’étoit une Négresse,
dont la figure correspondoit parfaitement au
reste de sa personne; et justifioit compléte-
ment la fidélité de la ressemblance des deux
tableaux de Vandyk, que j’avois vus à Pom-
mersfeld. Tous ses traits, sans en excepter le
nez et les lèvres, quoique celles-ci fussent
un peu grosses, mais pas assez pour être dé-
sagréables, auroient excité une admiration
générale, s’ils avoient été recouverts d’une
peau blanche. Elle avoit en même temps,
non-seulement beaucoup de vivacité, d’es-
prit et de jugement, mais encore, à ce que
j’ai su depuis, elle entendoit fort bien l’art
des accouchemens, et partout dans les en-
virons, il n’étoit bruit que de la belle et
jolie Négresse d’Yverdun qu’on vantoit
comme la meilleure sage-femme du pays.
Son maître, le chevalier, qui avoit aussi à
son service un Nègre, dont les belles formes
ne le cédoient point à celles d’une statue,
m’apprit que cette femme étoit une créole
de St. Domingue, née de parens Africains,
qui habitoient à Congo, mais qui n’étoient
pas aussi noirs que les Nègres du Sénégal.»’
‘„Dès-lors, j’ai eu occasion de voir plu-
sieurs Nègres, de converser avec eux, de me
procurer, pour ma collection, un grand
[Seite 75] nombre de préparations anatomiques, tirées
de cadavres de leur couleur; et toutes les
observations que j’ai faites à cet égard, ainsi
que tout ce que j’en ai lu dans les relations
de plusieurs voyageurs, m’ont de plus en
plus convaincu de la vérité des deux pro-
positions suivantes.„’
1. ‘„Qu’il y a tels Négres, entre lesquels
on trouveront pour le moins autant de dif-
férence soit de couleur, soit principalement
dans les traits du visage, qu’on en trouveroit
entre un grand nombre de vrais Nègres d’une
part, et de l’autre des individus apparte-
nans à toute autre variété de l’espèce hu-
maine.„’
2. ‘»Que les Nègres ne sont inférieurs au
reste du genre humain, ni par leur capa-
cité, ni par leurs facultés intellectuelles.„’
‘»J’ai en ce moment sous les yeux trois
crânes de Nègres, qui présentent une preuve
très-évidente de la première de ces deux pro-
positions, par la gradation frappante qui se
trouve entre leurs traits. L’un d’eux, que Mr.
Michaëlis a eu la bonté de m’apporter de
New-York, et dont j’ai donné la description
dans un autre écrit, se distingue par une telle
projection de l’os de la mâchoire supérieure,
que si cette particularité se retrouvoit dans
toutes les têtes de Nègres, on pourroit les
[Seite 76] croire issus d’un autre père commun qu’A-
dam. – Mais d’un autre côté, les formes du
second sont si parfaitement belles, paroissent
si peu exotiques et ressemblent si peu à
celles du premier, que si je n’avois pas vu
séparer la tête entière du corps, si je ne l’a-
vois pas disséquée moi-même, immédiate-
ment après, j’aurois douté que ce crâne ap-
partînt à un véritable Nègre. – Le second
tenoit le milieu entre les deux autres, et
ressembloit beaucoup dans toutes ses formes
à la tête d’un Abyssinien, nommé Abbas
Gregorius, telle qu’elle est représentée dans
une estampe qui m’appartient, et qui a été
gravée par Heiss en 1691, d’après un por-
trait peint par Von Sand. Cette tête montre
la grande affinité que les Abyssiniens ont
avec les Nègres proprement dits, et se rap-
proche beaucoup plus des laides formes que
leur attribuent les préjugés de l’Europe, que
celles de la jolie Négresse d’Iverdun ou du
beau jeune Nègre, dont je viens de parler,
comme ayant disséqué la sienne, ou de mille
autres, dont les traits diffèrent également
peu de ceux des Européens.„’
‘„Ce que je viens de dire n’est qu’une con-
firmation d’une vérité déjà connue depuis
long-temps et qui n’a point échappé aux voya-
geurs impartiaux. C’est ce qu’il est facile de
[Seite 77] prouver par les citations suivantes. – Dans
son voyage ou Cap Verd, au Sénégal, et en
Guinée, Le Maire assure avoir vu des Négres-
ses aussi belles et bien faites que nos plus
belles Européennes. – Le Guat rapporte aussi
qu’il a trouvé, à Batavia, un grand nombre
de très-jolies Négresses, dont les formes au-
roient passé eu Europe pour des modèles de
perfection. – Adanson, dans sa description
du Sénégal, parle des Négresses qu’il y a
vues, et s’exprime en ces termes: ‘“Elles sont
presque aussi grandes que les hommes et éga-
lement bien faites; leur peau est remar-
quablement douce et délicate; leurs yeux
sont noirs, grands et bien ouverts; leurs
lèvres sont petites; leurs traits bien propor-
tionnés. Quelques-unes sont des beautés
parfaites. Elles sont extrêmement vives, et
ont un air d’aisance et de liberté, qui est
très-agréable.»’ – Ulloa, après avoir observé,
dans ses Noticias Americanas, que quelques
Nègres ont les lèvres grosses et fort avan-
cées, le nez plat, les yeux profondément
enfoncés dans l’orbite (difformité qu’on dé-
signe dans le pays sous le nom de Gertudos)
et une chevelure qui ressemble à de la laine,
ajoute cependant qu’il en est d’autres, dont
les traits sont parfaitement semblables à ceux
des blancs, sur-tout quant au nez et aux
[Seite 78] yeux, et qui ont une chevelure épaisse, mais
lisse.»’
‘»Les témoignages et les exemples à l’ap-
pui de ma seconde proposition, relativement
aux facultés intellectuelles, aux talens natu-
turels, à l’esprit et à la capacité des Nè-
gres, ne sont pas moins nombreux et moins
incontestables. Leur mémoire étonnante,
leur grande activité, leur subtilité dans le
commerce de la poudre d’or, subtilité con-
tre laquelle les marchands Européens ne peu-
vent être trop sur leurs gardes, sont trop
bien connues pour qu’il soit nécessaire de
s’étendre beaucoup là-dessus. – On sait aussi
avec quelle facilité les esclaves apprennent
tous les ouvrages qui se font à la main,
même les plus délicats. – Il en est de même
de leur talent pour la musique; et l’on a des
exemples de Nègres qui jouoient du violon
avec une telle habileté, qu’ils ont gagné parlà
assez d’argent pour se racheter de l’escla-
vage.»’
‘»On a même vu parmi eux des individus
des deux sexes, avoir le génie de la poésie.
Haller en cite un exemple dans une Négresse,
et l’on trouve dans l’histoire de la Jamaïque
un échantillon de très-beaux vers latins, dont
l’auteur, Francis Williamis, étoit un Nègre.
– On connoit les intéressantes lettres d’Ignace
[Seite 79] Sancho, qui étoit aussi d’origine Africaine;
et voici encore deux exemples qui prouvent
que nos frères les Nègres sont bien nos égaux
en capacité et en talens pour la littérature
et les sciences. L’un est celui d’un ecclé-
siatique protestant, J.J. Eliza Capitein, qui
quoique Nègre, se rendit célèbre par son sa-
voir et par son éloquence. Je possède un
excellent portrait de lui, peint par Vandyk, et
gravé par Tanjé. – L’autre est celui d’un Nègre,
à qui, pendant son séjour à Wittemberg, notre
digne Prof. Hollman conféra le grade de Doc-
teur en philosophie. Il s’étoit distingué non-
seulement par ses écrits, mais par ses leçons,
et il vint ensuite à Berlin, où il fut appelé
par S.M. le Roi de Prusse, pour y occuper
une place dans son conseil d’état. J’ai sous
les yeux deux de ses ouvrages, dans l’un
desquels en particulier il fait preuve de beau-
coup d’érudition et de jugement, par une
analyse des meilleurs traités de physiologie
de son temps. – Boërhaave et De Haën, dont
on ne recusera pas le témoignage, attestent
aussi que plusieurs Nègres se sont distin-
gués dans la pratique de la médecine; et nous
avons vu que la belle Négresse d’Yverdun
étoit renommée dans tout le pays par ses con-
noissances dans l’art des accouchemens. –
Enfin, l’un des correspondans de la ci-devant
[Seite 80] académie des sciences de Paris, Mr. Lislet,
célèbre par ses talens pour les observations
météorologiques, étoit un Nègre de l’isle
de France.„’
‘„Combien de provinces entières n’y a-t-il
pas en Europe, parmi les habitans desquelles
on ne trouveroit aujourd’hui ni virtuoses,
ni poëtes, ni philosophes, ni correspondans
d’une savante académie?»’
Cet ouvrage est intitulé: Opuscoli scientifici, del
Dottore Franc. Tantini, etc. in – 8°. Pisa. 1812. Ce
premier volume contient, 1. des observations compara-
tives de médecine pratique; 1. la description du cabinet
anthropologique du Prof. Blumenbach; 3. la descrip-
tion d’un albinos, des environs le Lucques; 4. l’histoire
d’un malade atteint d’une fièvre intermittente perni-
cieuse; 5. un exposé succint de l’état actuel des scien-
ces et des lettres en Allemagne; 6. l’histoire d’un hy-
drothorax, accompagné d’un changement remarquable
dans la situation naturelle du coeur; 7. l’annonce d’un
ouvrage de Mr. le Prof. Matthaeis, de Rome, sur les mé-
dicamens; 8. enfin l’histoire et la description d’un vieil-
lard Toscan, âgé de cent quatorze ans. (O)