Table of contents

[titlePage_recto]
MAGAZIN
ENCYCLOPÉDIQUE,
OU
JOURNAL DES SCIENCES,
DES LETTRES et DES ARTS,
RÉDIGÉ
Par Millin, Noel et Warens.

TOME PREMIER.

A PARIS,
De l’Imprimerie du Magazin Encyclopédique,
rue Honoré, n.° 94.
L’an troisième
(1795)
.
[[I]]

Observations sur quelques Momies
égyptiennes, ouvertes à Londres, par Jean
Frédérick Blumenbach, adressées à Jospeh
Bancks
, de la société royale de Londres, le

10 avril 1794.

[[503]]

Parmi les nombreux témoignages de bienveillance
dont j’ai eu à me louer pendant mon dernier séjour
à Londres, et dont le souvenir me sera toujours
présent, je place particulièrement, et comme un ser-
vice auquel j’attache la plus grande importance,
la facilité qu’on m’a procurée d’ouvrir et d’examiner
plusieurs Momies d’Egypte.

Peu de jours après mon arrivée, je trouvai, dans
la bibliothèque de mon honnorable ami le docteur
Garthshore, membre de la société royale de Londres,
parmi plusieurs antiquités égyptiennes, une petite
Momie d’environ un pied de long, ressemblant à
une poupée emmaillotée. Elle étoit enveloppée dans
des bandes de coton, peinte et dorée à sa partie an-
térieure. Un petit sarcophage de sycomore la conte-
noit, et elle y étoit attachée avec soin.

Ayant manifesté le désir de connoître ce que
renfermoit cette Momie, le docteur s’empressa de
me permettre d’en faire l’ouverture; j’y procédai
chez lui, le 21 janvier 1792, en présence du pré-
sident de la société royale de Londres; de plu-
sieurs membres de cette société et de quelques
savans.

[Seite 504]

La Momie avoit 9 pouces et demi de long, et 8 de
circonférence vers la poitrine, où elle avoit le plus
d’épaisseur.

Le masque, où l’on remarquoit les traits d’une
figure humaine, était de gypse ou plâtre fin; il y
avoit quelques vestiges qui indiquoient qu’autrefois il
avoit été doré.

Il n’existoit que quelques fragmens de la partie ex-
térieure de la poitrine.

La partie inférieure du front étoit couverte, comme
on le remarque presque toujours dans les grandes
Momies. Elle étoit disséquée par compartimens. On
y avoit peint les deux figures couchées qu’on
trouve ordinairement empreintes sur les tégumens
des Momies, Anubis ayant une tête de chien qu’on
placoit sur le côté droit de la Momie, et Osiris
avec une tête d’épervier qui étoit sur le côté
gauche.

La Momie se trouva entr’ouverte par le côté. Les
tégumens extérieurs étoient tellement collés les uns
aux autres, qu’il fallut se servir de la scie pour
les séparer. Ceux du dedans l’étoient beaucoup moins.
Quand je développai les bandes de coton, j’observai
qu’il y en avoit 20 tours.

Elles renfermoient une espèce de noeud, ou paquet,
de 8 pouces de long et de deux de circonférence. Il
étoit de tégumens d’une plus grande Momie, et for-
tement imprégné d’une substance résineuse qui le
rendoit dur et compact. Par les extrémités, je m’ap-
perçus que c’étoit avec un couteau qu’on lui avoit
donné cette forme oblongue. Quelques morceaux du
[Seite 505] mastic ayant été mis sur une pelle rouge, don-
nèrent une odeur parfaitement semblable à celle
de la résine, ou à ce qu’on appelle encens
sauvage.

Le sarcophage consistoit en six petites planches
carrées de sycomore, qu’on avoit clouées les unes
aux autres.

Quelque temps après, je trouvai dans la collection
du docteur Lettsom, aussi membre de la société
de Londres, une autre Momie semblable à celle
dont je viens de parler, sur-tout pour la partie ex-
térieure; elle étoit de même dans un sarcophage, et
n’en différoit que par les dimensions; celle-ci avoit
14 pouces et demi de long, et 11 et demi de circon-
férence vers la poitrine. Le docteur se prêta aussi de
la meilleure grace du monde à ce que j’en fisse
l’ouverture, qui eut lieu chez lui le 29 janvier.

Si j’en avois trouvé les parties extérieures tout-à-
fait semblables à la première, il n’en fut pas de
même de ce qu’elle contenoit intérieurement; je n’y
observai qu’un grand nombre d’os d’un squelette
d’ibis, enduits de résine et détachés les uns des
autres.

On doit présumer que cette différence frappante
excita plutôt ma curiosité qu’elle ne la satisfit, avec
d’autant plus de raison que, sur ces entrefaites, je
trouvai au musée britannique trois Momies, si petites
qu’elles furent d’abord pour moi une espèce de pro-
blême; les deux premières se trouvoient dans les
antiques de la Collection Hamiltonienne, et con-
tenues dans des coffres carrés; l’autre faisoit partie
[Seite 506] de la Collection Sloannienne. Je ne pus résister
à l’envie de m’adresser au président de la société,
pour obtenir par son entremise la permission de faire
l’ouverture d’une des trois, afin d’avoir un objet de
comparaison.

Cette démarche me réussit pleinement; les cura-
teurs ’s’empressèrent d’acquiescer à ma demande;
non seulement ils me permirent d’ouvrir une de ces
petites Momies, mais encore de choisir parmi les
quatre grandes qui se trouvoient au musée, celle qui
me paroîtroit la plus propre à me donner les éclair-
cissemens que je voulois me procurer.

Je choisis parmi les petites celle de la collection
Sloannienne, parce qu’elle me parut différer plus
que les deux autres de celles que j’avois examinées
chez les docteurs Garthshore et Lettsom. Les quatre
grandes Momies ressembloient en tout à celle que
j’avois vue, en 1781, au musée académique de
Gottingue. Je choisis, toutefois, celle qui paroissoit
différer le plus de celles-ci et des autres, par l’arran-
gement des bandes de coton qui l’enveloppoient, et
qui me faisoient présumer quelque différence dans la
préparation de l’intérieur.

Le 18 février fut indiqué pour l’ouverture de ces
deux Momies, que je fis, au musée même, en
présence d’une assemblée aussi nombreuse que res-
pectable.

La petite se trouva très-semblable à celles que
j’avois ouverte avant, excepté qu’elle avoit onze
pouces ⅖ de longueur et 8 pouces ⅕ de largeur vers
la poitrine. Elle étoit un peu plus compacte au toucher,
[Seite 507] et proportionnellement à son volume beaucoup plus
pesante.

Lorsqu’en la sciant elle commença à s’ouvrir, elle
exhala une odeur de résine, et je remarquai même
que la scie une fois échauffée s’en trouva fortement
imprégnée, ce qui provenoit des bandes de colon qui
en avoient été enduites extérieurement: ce que je
n’avois pas observé dans les deux premières.

Quand elle fut entièrement ouverte, nous trou-
vâmes dans l’intérieur un humérus qui paroissoit
avoir fait partie d’une Momie d’un enfant d’environ
huit ans, qu’on avoit embaumé avec de la résine; et
à côté, quelques restes de tégumens auxquels on
avoit donné la même préparation. La partie supé-
rieure de l’os étoit placée vers la tête, et l’extrémité
inférieure aux pieds delà petite figure.

Vue extérieurement, rien ne paroissoit factice
dans cette petite Momie; mais en examinant avec
soin les tégumens les uns après les autres, je trouvai
que ceux de dessus étoient de quelque chose assez
semblable à la bourre de carton avec laquelle
on avoit essayé de les restaurer, et sur laquelle
on avoit ensuite passé un peu de peinture.

La grande Momie qu’on m’avoit permis d’exa-
miner, paroissoit par la taille être celle d’une jeune
personne d’environ 14 ans, à laquelle cependant les
dents n’étoient pas encore poussées; les tégumens
extérieurs, enduits de peinture, étoient parfaitement
semblables à ceux de celle de Gottingue, telle que
celle-ci est représentée dans le 4.e volume de l’ou-
vrage intitulé: Commentationes societatis scien-
[Seite 508] tiarum. Vers la tête, les bandes de coton paroissoient
collées ensemble avec de la résine; le crâne étoit
enchâssé dans une espèce de moule de la même subs-
tance, et dont il auroit été très-difficile de le tirer.
Par le poids, on pouvoit juger qu’il en étoit rempli;
ce qui pouvoit se voir par le trou qui se trouve entre
le palais et la partie inférieure de la bouche. La
résine y avoit été introduite peu-à-peu. Il n’y avoit
pas le moindre vestige de langue, ce qui n’étoit pas
ordinaire, car on en remarquoit souvent dans les
autres Momies; mais dans celle-ci, il n’y avoit pas
même la petite lame d’or (le prétendu Naulus). On
n’y apercevoit aucune partie charnue, de peau,
tendons, etc; ce n’étoit que des os entièrement
décharnés.

Les joues en étoient saillantes d’une manière sen-
sible, non pas autant que dans la tête d’un habitant
de la Guinée, mais à-peu-près comme les ont les
Nègres bien conformés, et quelques peuples de
l’Europe.

Ce que je remarquai principalement, et que je ne
sache pas qu’on ait bien observé jusqu’ici, ce sont
deux yeux artificiels faits d’une espèce de toile de
coton enduite de résine, et appliqués à chaque
côté de la tête. Celui de la droite étoit saillant; mais
l’autre paroissoit avoir été déplacé de son orbite, il
étoit froissé et même défiguré.

Les bandes de coton dont le reste du corps étoit,
ou devoit être enveloppé, n’étoient point colées les
unes aux autres, et craquoient lorsqu’on les pressoit
de la main.

[Seite 509]

La grande cavité du tronc étoit remplie de chif-
fons, et d’une terre noirâtre où l’on découvrit
quelques particules de résine. Mais l’intérieur de la
cavité thoracique, ou qui appartient à la poi-
trine, étoit couvert d’un enduit de résine vers les
parois de l’épine du dos et des os des îles.

On ne trouva dans ’l’intérieur de cette Momie, ni
idole, ni symbole hiéroglyphique; elle ne contenoit
aucun fragment d’oignon vers les parties de la géné-
rat on, ni sous la plante des pieds, comme on en trou-
voiten examinant les autres Momies.

Les os des bras étoient placés le long du corps sur
les côtés, de la même manière que ceux de la Momie
de Gottingue, et de celle de Leipsick, décrite par
Kettner. Au lieu que dans la Momie de Gotha,
décrite par Hertzog; les deux de Breslaw, par
Gryphius; celle de Copenhague, disséquée par
Brunnich, et es cinq qui appartenoient à la société
royale de Londres, décrites par Hadley dans les
transactions philosophiques, les bras étoient placés en
croix sur la poitrine.

Dans celle dont il est question ici, sur quelques-
uns dos os des bras, sur le gauche, par exemple, de
l’humérus, on trouva une espèce de résine gluante,
qui, au toucher, teignoit les doigts d’une couleur
grasse d’un rouge foncé, et avoit une saveur très-
forte d’alkali empireumatique. Dans le reste du corps,
la résine qui étoit sèche étoit entièrement couverte
ou imprégnée d’une croûte saline qui avoit rongé
particulièrement les vertèbres thoraciques et avoit
entièrement dépouillé les corps intermédiaires des
vertèbres, de leur périoste.

[Seite 510]

Des circonstances ne m’ont pas permis alors de
faire quelques expériences sur ce sel; mais ayant
obtenu depuis de mon digne ami Jean Hawkins,
Esq. de la société de Londres, quelques fragmens
considérables de Momies qu’il avoit achetés à Cons-
tantinople, j’en ai trouvé un couvert et imprégné
d’une incrustation saline qui avoit la saveur et l’ap-
parence de celle dont je viens de parler. J’en ai
dissous quelques particules dans un verre d’eau; j’ai
filtré et fait évaporer la dissolution, qui m’a donné
du véritable alkali minéral (natrum), semblable
à-peu-près au cristal le plus beau et le plus régulier.

Pour avoir un objet de comparaison, j’ai examiné
une autre grande Momie du muséum, qui étoit déjà
ouverte de plusieurs côtés. C’étoit celle d’une per-
sonne très-formée et de la taille de 5 pieds 5 pouces;
comme la dernière, elle n’offroit aucuns vestiges de
parties charnues, mais seulement des os dépouillés.

Autant qu’il m’a été possible d’examiner l’intérieur
de cette Momie, j’ai remarqué qu’elle ne contenoit
aucune particule de résine, si ce n’est aux dents où
il y en avoit quelque peu fortement attaché. Les
cavités de la poitrine et du bas-ventre étoient remplies
d’une terre noirâtre dont on trouvoit encore des
fragmens entre le palais et la mâchoire inférieure,
d’où l’on pouvoit la sortir aisément avec les doigts.

Les joues de cette Momie étoient beaucoup moins
saillantes que celle dont j’ai parlé tout-à-l’heure.

Quelques semaines après, le 17 mars, j’eus occa-
sion d’examiner une autre Momie chez l’honorable
Charles Greville, de la société royale, laquelle avoit
[Seite 511] déjà été ouverte, le 29 mars 1788, en présence de
plusieurs amateurs curieux; elle appartenoit à John
Symmons Esq. qui consentit, de la manière la plus
obligeante, non seulement que je la disséquasse,
si je le jugeois à propos, mais encore que j’en choi-
sisse les morceaux que je trouverois susceptibles ou
dignes de quelques recherches.

C’étoit une Momie d’un enfant d’environ six ans,
qui, par la manière dont on l’avoit préparée (sans
résine ni la moindre trace de parties charnues), et par
le dessus de la poitrine qui étoit peinte, par les
bandes de coton attachées les unes aux autres, étoit
parfaitement semblable à celles du musée britanni-
que, ainsi qu’à celle de Gottingue, excepté que les
caractères qui se trouvoient sur les tégumens de
coton qui couvroient les jambes, ressembloient da-
vantage à ceux qu’on remarquoit sur la Momie dont
le comte de Caylus avoit donné le dessin. Vol. V.
Tab. XXVI–XXIX.

Il ne restoit de la tête que quelques fragmens d’os
du visage, quelques dents, et le masque entier de la
figure auquel étoient encore collées plusieurs bandes
de coton.

Parmi les dents, j’en remarquai quelques-unes de
celles qu’on appelle incisives, qui, malgré l’âge
tendre de la personne à qui elles a voient appar-
tenu, avoient une couronne forte et peu élevée
à cette extrémité de la dent qui ordinairement
est pointue.
Cette observation me confirma de nou-
veau dans l’existence de ce phénomène extraordinaire
que j’avois déjà remarqué dans une tête entière et
[Seite 512] quelques fragmens de mâchoires de ma collection(1).
Il a pareillement fixé l’attention de Middleton, dans
l’examen des Momies de la collection de Cam-
bridge(2), ainsi que celle de Bruckmann, dans une
Momie qui est dans la galerie de Cassel(3). Storr a
vu aussi quelque chose de semblable dans la Momie qui
est à Stuttgard(4).

Si nous réfléchissons pendant combien de siècles,
au milieu de combien de révolutions les Egyptiens
ont conservé l’usage d’arranger les corps morts en
Momies, on présumera facilement que nous ne
devons pas nous attendre à trouver dans toutes une
pareille conformation de dents, qui est plutôt chez
eux le résultat de l’art perfectionné, qu’une confor-
mation qui caractérise et soit propre à ce peuple.

Je n’ai point remarqué cette structure singulière
des dents dans les deux Momies que j’ai examinées
au musée britannique, ni dans celle de Gothingue.
Une tête détachée d’une Momie du muséum, pré-
parée avec de la résine, avoit, par sa forme, une
très-grande ressemblance avec la petite Momie de
M. Simmons, même dans l’ensemble de la confor-
mation de la Momie, qui se faisoit sur-tout remar-
quer par les proportions étroites de la poitrine; mais
[Seite 513] malheureusement les couronnes des dents étoient en
si mauvais état, que je ne pus en tirer aucunes
lumières.

Cependant cette conformation de dents mérite
singulièrement qu’on y fasse attention, parce qu’il
est probable qu’elle peut servir à déterminér l’épo-
que à laquelle une Momie a été préparée.

Ce qui m’intéressa encore beaucoup dans la Momie
de M. Simmon, fut le masque, aux deux côtés
duquel étoient des bandes de coton avec lesquelles
les tégumens intérieurs avoient été attachés au cer-
cueil, et auquel ils tenoient encore. La partie inté-
rieur du masque étoit de sycomore; l’extérieure
consistoit en une forte couche de plâtre en relief,
avant la forme d’un visage qu’on avoit peint de cou-
leur de chair, mais que le temps avoit considérable-
ment altérée. J’obtins ce masque de M. Simmon,
avec quelques autres fragmens, que j’emportai à
Gottingue, où je les mis tremper dans de l’eau
chaude, et les séparai ensuite soigneusement les unes
des autres. Je parvins, par ce moyen, à découvrir
l’artifice qu’on avoit employé pour la construction,
du masque. La partie ligneuse étoit évidemment un
morceau du dessus du sarcophage de la Momie de
la jeune personne. Pour former ensuite le relief du
masque, on avoit étendu du plâtre sur les deux
joues, et collé, après, très-adroitement sur toute la
face un papier qu’on avoit enduit de couleurs,
telles qu’on les remarque sur la figure de toutes les
Momies.

La petite Momie de la collection Sloannienne du
[Seite 514] musée britannique a probablement été préparée
de cette manière, et cette préparation frauduleuse,
a été si bien exécutée que je ne sache personne avant
moi qui s’en soit aperçu, quoiqu’il n’y ait pas de
doute crue ces deux Momies n’aient été souvent
examinées par des personnes versées dans cette
matière.

Il y a encore des indices qui font craindre avec
raison quelqu’autre fraude; par exemple, les
coffres de bois de sycomore unis et attachés en-
semble avec des clous, dans lesquels j’ai trouvé les
petites Momies des docteurs Gathshore et Lettsom,
et de sir W. Hamilton, ont été construits probable-
ment de fragmens de sarcophages d’anciennes Mo-
mies. La petite, de la collection Sloannienne, est
dans une boite en forme de sarcophage, qui a été
faite d’une écorce brune d’un bois dur entièrement
différent du sycomore, et d’une construction évidem-
ment récente.

Combien l’art a fait de semblables restaurations!
combien de fraudes ont été pratiquées, dans celles
des différentes Momies apportées en Europe, et
dont on ne s’étoit jamais douté, qui n’ont jamais
été découvertes ni bien constatées, parce que nous
sommes encore dans l’ignorance sur cette partie de
l’Archaeologie égyptienne qu’on n’a jamais traitée
avec la sagacité qu’elle paroît mériter!

Nous tenons toute la connoissance que nous avons
de la préparation des Momies, de deux sources: la
première, de l’examen même des Momies, et de
deux passages que l’on trouve, l’un dans Hérodote,
[Seite 515] et l’autre dans Diodore de Sicile; Strabon et quelques
anciens historiens n’ayant fait mention des Momies
qu’en passant et en très-peu de mots.

Malheureusement ces deux passages ne s’accordent
en rien avec l’état des Momies qu’on apporte aujour-
d’hui en Europe, et qui sont généralement de deux
espèces; savoir: les unes dures et compactes, entiè-
rement enduites de résine, et qui par conséquent
peuvent facilement être mises en pièces; les autres,
molles et cédant à la main qui les presse, ne sont
préparées qu’avec très-peu ou point de résine: les
bandes de coton sont détachées les unes des autres, et
peuvent être facilement mises en peloton. Ces der-
nières Momies contiennent dans leurs cavités quelques
portions d’une terre noirâtre, mais aucune espèce
d’idole, ainsi que je l’ai toujours observé.

La partie supérieure de la tête des Momies de
cette dernière espèce est ordinairement couverte et
peinte, en même temps que le masque d’étoffe de
coton est doré; elles paroissent plus bigarrées que les
premières, et ne contiennent point de cette résine
qui devient un objet de commerce. On transporte en
Europe de cette espèce de Momies en beaucoup plus
grand nombre que de la première; il y en a beaucoup
plus de collections, et en beaucoup meilleur état,
quoique souvent elles ne paroissent ainsi que parce
qu’elles ont été récemment restaurées. L’espèce de
délabrement des premières, au contraire, fait
qu’elles restent plus long-temps entre les mains des
marchands.

On range parmi les Momies de la première espèce
[Seite 516] les deux qui se trouvent dans le dispensaire de Crusius
à Breslaw, et dont Gryphius a donné une descrip-
tion en 1662; ainsi que le corps de cette belle
Momie qui fut ouverte à Gotha par l’apothicaire
Hertzog en 1715, dans lequel on trouva plus de
petites idoles, d’escarbots, de grenouilles (comme
symbole de fertilité), de nilomètres, etc., que jamais,
à ma connoissance, en ait renfermé quelque Momie
que ce soit.

Mais Hérodote, quoique très-curieux et très-
crédule historien, comme l’a qualifié un de nos plus
savans et des plus judicieux antiquaires, Hérodote ne
fait aucune mention de ces deux espèces de Momies,
ni ne parle de la résine qu’on y trouve, ni du masque
peint, quoiqu’il décrive expressément quels sont
les tégumens peints dans les Momies éthiopiennes.

Diodore garde également le silence sur la résine et sur
le masque peint, tandis que d’un autre coté il avance
les assertions les plus étranges, notamment celle où il
prétend que l’adresse des embaumeurs étoit telle,
qu’ils étaient parvenus à conserver dans la plus
grande perfection tous les traits de la figure dans les
Momies; tandis que, dans les deux espèces dont
nous venons de faire mention, la face est généralement
couverte d’étoffe de coton à-peu-près de l’épaisseur de
la main(1).

Quoique ces deux historiens eussent été en Egypte,
il est probable que tout ce qu’ils nous rapportent
n’est fondé que sur des ouï-dire; car, d’un autre
[Seite 517] côté, il y auroit trop de paradoxe à assurer que toutes
les Momies qui sont en notre possession sont posté-
rieures au temps où écrivoit Diodore, ou qu’aucunes
de celles dont Hérodote et lui nous ont donné la
description, ne sont parvenues jusqu’à nous. Le comte
de Caylus pense au contraire qu’aucune Momie n’est
postérieure à la conquête de l’Egypte par les Romains,
c’est-à-dire, vers le temps de Diodore; en cela, il
s’est évidemment trompé, car nous apprenons de
St. Augustin même (c’est-à-dire, vers le commen-
cement du cinquième siècle), que jamais l’on n’avoit
fait de plus petites Momies en Egypte que de son
temps(1). Mais parmi celles dont nous sommes
aujourd’hui en possession, et particulièrement celles
de la première espèce, qui sont entièrement enduites
de résine, il en est beaucoup qu’on présume avec
raison n’être pas d’une antiquité très-reculée: ce qui
se prouve facilement par manière dont sont traitées
ou travaillées les petites idoles qu’elles renferment.

Au moins on peut croire, sans craindre de se
tromper, que, parmi les Momies que nous possé-
dons, celles qui offrent des différences frappantes,
soit dans la manière dont elles ont été préparées, soit
dans la structure qui les caractérise, ne sont pas d’une
antiquité au-dessus de mille ans.

Il seroit à desirer, cependant, que nous eussions
une méthode certaine pour déterminer avec exactitude
l’âge précis de chaque Momie qui tomberoit entre
nos mains; mais il ne faut pas s’attendre à y par-
[Seite 518] venir, sans remplir avant les deux conditions
suivantes:

La première seroit d’en déterminer le plus exac-
tement possible les différences frappantes, ainsi que
la structur des monumens qui caractérisent d’une
manière si évidente les diverses nations de l’Egypte;
il faudroit en même temps qu’on déterminât les siècles
qui produisirent ces monumens et les causes notables
de leur variété.

La seconde consisteroit dans un examen soigneux,
et éclairé, des formes particulières de plusieurs
crânes de Momies, et d’en faire un objet curieux de
comparaison avec les monumens dont nous venons de
parler.

Je crois que ce seroit là le plus sûr moyen de
résoudre le problème, avec d’autant plus de raison
qu’il faut bien se persuader que, d’après ce qu’on
vient d’observer sur les restaurations fraudule ses,
nous ne devons pas nous attendre à tirer des rensei-
gnemens précis et exacts de la contexture des tégumens
peints que nous trouvons dans les Momies que nous
avons occasion d’examiner.

Nous ne devons pas non plus espèrer de tirer plus
de lumières des figures sculptées ou peintes qu’on
trouve sur les sarcophages, que de ce qui est contenu
dans les Momies qu’on fait parvenir en Europe.
Maillet, qui, il y a environ 60 à 70 ans, découvrit
les fraudes que les Arabes faisoient dans les Momies
qu’ils exposoient en vente, assure que, lorsqu’ils visi-
tent les tombeaux, ils sont dans l’usage de mettre en
pièces les Momies dont les sarcophages ont le plus
[Seite 519] d’apparence ou d’ornement, dans l’espoir d’y trouver
des idoles de prix; qu’ils les remplacent ensuite par
des Momies factices et peintes (telles que les Momies
flexibles dont j’ai parlé), qu’ils exposent en vente
comme de véritables Momies.

La structure ostéologique des crânes des Momies
que j’ai en occasion d’examiner, est détaillée eu
très-grande partie dans la description que j’ai donnée
de ma collection des crânes des différentes nations de
l’Egypte. J’espère y joindre quelques observations
ultérieures qui ne seront pas moins curieuses.

Quant au caractère national des physionomies
parmi les anciens Egyptiens, je ne ferai mention ici
que de ce que j’ai tiré de mes comparaisons de ces
crânes avec les pièces artificielles trouvées dans les
monumens égyptiens; mais je remarquerai aupara-
vant, qu’il m’est impossible de concevoir comment
de savans écrivains, non soulement de la trempe de
l’auteur des Recherches sur les Egyptiens(1), mais
encore des antiquaires de profession, tels que Winc-
kelmann(2) et l’écrivain qui a publié les Recherches
sur l’origine des arts de la Grèce
(3), ont pu attri-
buer aux monumens artificiels trouvés en Egypte, un
caractère commun de physionomie nationale, et l’aient
défini en peu de mots et d’une manière aussi décisive
que péremptoire.

[Seite 520]

Quant à moi, je pense que nous pouvons adopter
au moins trois différences principales dans le caractère
national des physionomies des anciens Egyptiens;
qui, comme toutes les variétés qui se rencontrent
dans l’espèce humaine, sont souvent confondues
ensemble et produisent des nuances différentes; mais
dont le véritable archetype, qu’on me permetie de
l’appeler ainsi, doit être distingué par des propriétés
non équivoques auxquelles les moindres déviations
dans les individus peuvent être réduites en dernière
analyse, pourvu qu’elles ne s’écartent point des
bornes ordinaires.

Il me paroît donc que ces trois différences de phy-
sionomies nationales peuvent se classer ainsi: 1.° celle
qui convient à la caste éthiopienne; 2.° celle qui ap-
proche de la figure des Hindoux; 3.° la mixte, en ce
qu’elle tient un peu des traits des deux premières.

La caste éthiopienne se distingue particulièrement
par les joues élevées, par les lèvres épaisses, le nez
large et épaté, et les prunelles saillantes: c’est ainsi
que Volney nous représente les Coptes d’aujour-
d’hui(1); et parmi les meilleures figures données par
Norden, où l’on retrouve les mêmes traits, on doit
remarquer celle du sphinx. Cette description s’ac-
corde aussi avec le passage bien connu d’Hérodote,
sur l’origine des habitans de la Colchide et même des
Egyptiens de son temps; c’est sous de pareils traits
que Lucien à Rome dépeint un jeune Egyptien(2).
Voyez la planche 16, fig. 1.re

[Tab.]
Magar. Encycl. T. 1. P 520. Tète de Momiexxx
[interleaf] [Seite 521]

La seconde, ou la caste Hindou, diffère entièrement
de celle dont nous venons de parler, ainsi qu’on peut
s’en convaincre en examinant attentivement les mo-
numens égyptiens. Les physionomies de cette caste
sont caractérisées par un nez alongé et mince, par
des sourcils longs et déliés qui parient du haut du
nez et s’étendent vers les tempes, par les oreilles qui
sont placées au haut de la tête(1), et par un corps
grèle et court, monté sur de hautes jambes(2).

Pour donner une idée de la forme qui caractérise
cette caste, je me contenterai de mettre sous les
yeux du lecteur la tête de femme qui est peinte sur
le derrière du sarcophage de la Momie du capitaine
Lethieullier, qui se trouve au musée britannique,
et qui fut gravée par Vertue: elle est parfaitement
semblable à la physionomie nationale et particulière
des Hindoux que nous retrouvons si souvent, sur-
tout en Angleterre, dans les peintures qui nous vien-
nent des Indes. (Voyez fig. 2).

La troisième espèce de physionomie dans les
Egyptiens, n’est semblable particulièrement à aucune
des deux précédentes, mais paroit tenir quelque
chose de l’une tt de l’autre, et peut-être doit-elle les
modifications qu’on y remarque, à des circonstances
locales produites par un long séjour en pays étranger.
Elle est caractérisée par un aspect grossier, des joues
[Seite 522] flasques, un menton très-court, de grands yeux saillans,
et les proportions qui dénotent une personne dans l’em-
bonpoint: cette dernière physionomie est celle qu’il
faut s’attendre à touver le plus fréquemment dans les
Momies. (Voyez fig. 3).

J’ai pensé que cette courte digression ne seroit pas
hors de propos, en ce que d’un côté, non seulement
elle peut, quant à l’histoire, jeter beaucoup de jour
sur l’origine et l’extraction des nations qui ont été
transportées en Egypte, et comprises sous la dénomi-
nation générale d’Egyptiens, mais encore déterminer
quel a été à différentes époques le progrès des arts
chez les anciens Egyptiens, sur lesquels nous n’avons
que des notions très-imparfaites; de l’autre, elle peut
rectifier plusieurs erreurs de faits, avec d’autant plus
de raison, qu’il est des auteurs très-recommendables
qui nous ont donné pour des têtes égyptiennes vrai-
ment nationales, les figures les plus étranges et qui
y avoient le moins de rapport; tel, par exemple, est
le masque peint qui se trouve gravé dans le trésor
de Beger. Brandenb. tome 3, page 402. C’est
une figure pitoyable, sans aucune espèce de
caractère, et que cependant Winckelmann donne
comme la forme la plus vraie et qui caractérise mieux
la figure des anciens Egyptiens, que lui, comme bien
d’autres, soutiennent être parfaitement semblable à
celle des Chinois; assertion qui m’a toujours paru in-
vraisemblable et dénuée de vérité, sur-tout depuis
que j’ai eu occasion de voir une vingtaine de Chinois
à Amsterdam, et beaucoup d’anciens monumens
à Londres, au musée britannique sur-tout, et dans
[Seite 523] les cabinets de MM. Townley et Knight, et chez le
marquis de Lansdown.

En adoptant, avec les naturalistes, cinq variétés
de l’espèce humaine savoir; 1.° les habitans du Cau-
case, 2.° les Mongols, 3,° les Malais, 4.° les Ethio-
piens, 5.° les Américains, je pense que les Egyptiens
peuvent être places entre l’habitant du Caucase et
l’Ethiopien, mais qu’il ne diffère d’aucun plus
que du Mongol, dont le Chinois emprunte les traits.

Quant à ce qui concerne les corps d’Egyptiens
préparés en Momies, je finirai par quelques ob-
servations sur ce qu’il y a de plus probable sur le but
qu’on se proposoit dans la préparation des petites
Momies qui ont donné lieu à cette dissertation.

Je crois que c’est à tort que pendant long-temps on
les a prises toutes pour des Momies d’enfans ou d’em-
brions(1). Quelques unes ne sont réellement que des
Momies d’ibis, telle que celle de M. Lettsom et une
de celles du musée britannique, comprises dans la
collection Hamiltonienne qui, étoit restée ouverte
jusqu’à l’époque où il m’a permis de l’examiner,
et où j’ai trouvé un bec d’ibis et d’autres os d’oiseaux.

On n’ignore point que ces oiseaux sacrés, après avoir
été enveloppés de bandages de coton, étoient placés
dans des urnes de terre et déposés dans les catacom-
bes destinées aux ibis; quelquefois ils n’étoient mis
dans aucune urne, mais seulement préparés en forme
de petites Momies semblables à nos poupées: la tête
[Seite 524] et le bec étoient projetés dans la situation où est un
oiseau qui regarde en l’air. Une de ces sortes de
Momies a été dessinée par le comte de Caylus;
quelquefois aussi l’oiseau en entier étoit enveloppé en
forme de poupée, et la tête couverte d’un masque,
comme si c’eût été une Momie humaine.

Mais comme les deux autres, c’est-à-dire celle du
docteur Garthshore et celle de la collection Sloan-
nienne
, étoient, pour la partie extérieure, parfaite-
ment semblables à celle dont j’ai parlé plus haut, j’ai
conjecturé (car dans le manque total de renseignemens
sur les petites Momies des anciens, nous sommes obligés
de nous en tenir aux conjectures) que ceux qui pré-
paroient les Momies qu’ils se proposoient de mettre
en vente, pour s’éviter l’embarras en préparant celles
des oiseaux, prenoient un os ou quelque partie solide
des Momies qui étoient délabrées, ou même ce qui
se présentoit sous leur main, et les arrangeoient
comme des Momies d’ibis, et les mettoient en vente.

Quiconque se rappelle dans quel mépris étoient
tombés les prêtres égyptiens, du temps même da
Strabon, et combien l’ancien culte de l’Egypte étoit
en discredit, ne pensera pas que cette conjecture soit
hasardée ou dénuée de probabilité.

Mais ne devons-nous pas plutôt considérer cette
espèce de poupées comme le memento mori que
les Egyptiens avoient coutume de placer près de leur
table lorsqu’ils prenoient leur repas et même dans
leurs festins? Hérodote fait mention de petites images
de bois qui servoient à cet usage, et je me souviens
que j’en ai vu de semblables au musée britannique.
[Seite 525] Lucien rapporte, comme témoin oculaire, que de
son temps on avoit coutume, parmi les Egyptiens, de
placer à table même des corps morts. Il est aisé de
concevoir comment, durant un intervalle de près de
sept cents ans, et avant qu’on pensât à substituer la
représentation à l’image réelle qu’offroit cette prati-
que dégoûtante, les petites Momies furent préparées
pour remplir cet objet.

L’auteur des Recherches sur les Egyptiens sem-
ble ne vouloir point admettre que de vraies Momies
étoient introduites à leur table; mais son doute ne
me paroît pas mieux fondé que l’assertion contraire
d’un des plus célèbres médecins du siècle dernier,
Casp. Hoffman, qui, dans son ouvrage vraiment élé-
mentaire De medicamentis officinalibus, à l’arti-
cle des Momies d’Egypte, rapporte gravement que
dans la Basse-Saxe il ne se faisoit aucun festin sans
qu’on y introduisît une Momie(1). Cet étrange qui-
proquo
, qui confond une Momie d’Egypte avec une
espèce de bierre forte qu’on fabrique dans les états
de Brunswick, est cependant un fait que plusieurs
écrivains modernes qui ont parlé des Momies, ont
copié sans examen et ont inséré dans leurs ouvrages
avec une espèce de confiance. P.C.

[[571]] [Seite 572] [Seite 573] [Seite 574] [Seite 575] [Seite 576]
Notes
(1).
[Seite 512]

Decas craniorum I. Tab. I.

(2).
[Seite 512]

Middleton’s Miscellaneous Works, vol. 4, p. 170.

(3).
[Seite 512]

Bruckmann’s account of this mummy. Brunswick 1782,
in-4°.

(4).
[Seite 512]

Storr prodromus methodi mammalium. Tubing. 1780, in-4°. p. 24.

(1).
[Seite 516]

Cette observation a déjà été faite par Middleton, L. 100.

(1).
[Seite 517]

August. serm. 361. (Oper. t. V, p. 381).

(1).
[Seite 519]

Tom. I, p. 237.

(2).
[Seite 519]

Dans sa Destription des pierres gravées de Stosch, page
10, et autres ouvrages de cet écrivain.

(3).
[Seite 519]

Tom. I, page 300.

(1).
[Seite 520]

Voyez son Voyage en Syrie. t. I. page 74, et les Ruines,
page 336.

(2).
[Seite 520]

Navigium S. Vota c. 2. (Oper. tom. 3. p. 248).

(1).
[Seite 521]

L’auteur des Recherches sur les Egyptiens a cru bonnement
que cette configuration des oreilles n’etoit qu’une erreur des
dessimateurs.

(2).
[Seite 521]

Comparer cette description avec celle qu’Arrian nous fait
des Indiens. Rer. Indicar. L. p. 542.

(1).
[Seite 523]

Voyez, par exemple, Dyrenes historie og Dike-Samlingon
udi universitetets natur-theater
, de M. Thr. Brunnich, tom. I,
page. 2.

(1).
[Seite 525]

P. 642. A Saxonibus audivi, nullum apud ipsos convivium
transigi posse, sine
Mummei, uti appellant. Ita olim sine lasere,
et hodie Indi sine assa foetida nihil comedunt. Hinc, qui in Aegyptum
eunt afferre secum solent
talia cadavera.



Blumenbach, Johann Friedrich. Date:
This page is copyrighted