Table of contents

[titlePage_recto]
ALMANAC
de Goettingen
pour l’année
1780.
chez I.C. Dieterich.
xxx

Du Hartz.

[Seite 106]

On a tant écrit sur les productions du Hartz,
sur ses richesses souterraines, même sur ses
champignons et mauvaises herbes; et au con-
traire si peu de ses Beautés naturelles, que
nous nous faisons un mérite d’en dire quel-
ques mots. Elles sont, à l’avis des juges les
plus recevables, assés d’importance pour tour-
ner à la gloire d’un pays qui seroit dépouillé
d’autres avantages. Ici au contraire la multi-
plicité des choses remarquables, en partie sort
essentielles, suplante pour ainsi dire et ofus-
que ces beautés.

Le Hartz supérieur, qui est celui que l’on
nomme proprement Hartz, et qui s’étend de
Goslar à Lauterberg, et depuis la petite ville
de Grunde jusqu’ à la montagne dite der Bro-
cken
, est une contrée couverte de bois dont
les chaines se croisent en diverses directions.
Dans quelques contrées il y a si peu de plaine,
qu’il a falu bâtir même des villes entieres,
[Seite 107] par ex. Andreasberg d’une maniere particu-
liere sur le penchant assés escarpé d’une mon-
tagne. Déja la hauteur de ces monts et la
rudesse qui en résulte, loin de nous promettre
de douces campagnes riantes, ne peuvent nous
faire attendre que des contrées sauvages d’une
beauté sublime. L’obscurité même, ou com-
me s’exprimoit M. de Haller, la verte nuit
que forme l’ombrage des hautes forêts touf-
fues de pins et de sapins, n’étant éclairée
que par une lueur qui perce par-ci par-là, ou
par la verdure plus relevée des mousses, et
des grandes et belles fougeres qui couvrent
les racines des arbres en guise de bosquets
épais, fait d’abord une impression d’horreur
vénérable, redoublée par la tranquilité solem-
nelle qui régne dans la plus grande partie
des contrées de ces forêts. D’ordinaire ce
calme n’est interrompu que par le siflement
que fait le vent en passant par les cimes des
sapins; par le son harmonieux que font qua-
tre sortes de clochettes pendues au cou de quel-
ques uns d’entre les bestiaux qui paissent dans
ces prairies montagnardes; et par le chant des
[Seite 108] oiseaux de ces forêts, lequel répond également
à l’air sauvage du Tout. Un rossignol seroit
déplacé dans ces contrées; au lieu que les
tons mélancoliques des pivoines du coucou,
des tourterelles &c. et le siflet languissant des
ferins et des grives, conviennent parfaitement
à l’air farouche de la région qu’ils habitent.
Il ne faut pas cependant que ce que nous
venons de raporter de l’împression que font
sur la vue et sur l’ouie les forêts du Hartz
prises dans le général, passe dans l’esprit du
Lecteur pour une uniformité ennuyante. On
l’ennuyeroit plutôt, si on alloit raporter féche-
ment tous les objets frapans de cette région,
diversifiés à l’infini, et pour la plupart au des-
sus de toute description pittoresque, lesquels
se montrent à chaque pas dans ces forêts tou-
jours avec un charme extraordinaire. Nous
doutons qu’il y ait beaucoup de contrées en
Europe, où des peintres en paysages pussent
dans une enceinte de peu de miles trouver
ensemble et étudier les nombreuses parures
variantes de la Nature, si facilemeut qu’ au
Hartz. Aussi nous pouvons donner l’espé-
[Seite 109] rance qu’un jeune artiste de Gottingue ira pro-
fiter dans cette école naturelle, et qu’il pu-
bliera un recueil des plus belles vues du Hartz
partie à la maniere d’Aberlis, partie à la fa-
çon de Wolf. Les cascades de ces monts
sont petites, mais en partie aussi belles que
celles de Tivoli d’où Salvator Rosa a tiré ses
sameux tableaux. D’un autre côté les pay-
sages clos, et sur tout les lieux deserts
qui offrent aux yeux des rochers impratica-
bles, des rocs isolés, d’épaisses brossailles, des
arbres déracinés, et de bruyans torrens d’eaux
sauvages, y sont d’autant plus nombreuses.
Quelques unes de ces vues, particulierement
aux environs d’Andreasberg et entre Goslar
et Zellerfeld, ressemblent si fort aux plus
beaux des deserts que nous ont tracés Ro-
land Savery et Albert van Everdingen, que
l’on diroit qu’elles ont servi d’originaux à ces
Artistes. Quand on jette la vue à contre-
bas des montagnes dans les vallées, l’effroi
de cette perspective redouble par la fumée
que l’on voit s’élever en nuages épais des
sonderies, et par le bruit que sont les mar-
[Seite 110] teaux des forges de fer et de cuivre et des
moulins à concasser le minérai. Dans cer-
tains endroits il y a des grottes très-roma-
nesques; par exemple aux environs d’Elbin-
gerode, où l’on voit une source considérable
se dégorger du goufre de la caverne d’une
roche, et se distribuant au dehors arroser la
mouffe qui couvre les rochers voisins. On
rencontre en quelques endroits au milieu du
Hartz des plaines couvertes de verdure, et des
pâturages avec des Chalets, bâtimens si inté-
ressans pour les lecteurs de la nouvelle Hé-
loïse, et qui sont précisément semblables à
ceux des Alpes de la Suisse, avec cette di-
férenee seulement que quoique tout-à-fait
égaux à l’égard de l’arrangement intérieur,
n’ayant pourtant pas à craindre des tourbil-
lons si violens, ils n’ont pas leurs toits de bar-
deaux chargés de si grandes pierres. Quel-
ques uns même de ces petits bâtimens sont
préférablement rians, et ont des charmes in-
exprimables. Telle est par exemple dans un
petit vallon entre Andreasberg et Braunlage
une de ces maisonnettes dont l’estrade est
[Seite 111] presque toute tapissée de bleu par les plus
belles espèces et les plus charmantes nuances
de la germandrée. En génèral c’est là une
contrée si tranquile et si paisible qu’elle au-
roit pu être le paysage de l’Arcadie du Sieur
Nic. Poussin. Nous n’aurons pas besoin de
remarquer que toutes ces contrées exhalent les
odeurs les plus fines des plantes aromatiques
des Alpes: Mais ce qui surprend plus inopi-
nément, c’est de sentir se répandre de dessus
un rocher nud en aparence, inculte et sans
végétaux, une odeur parfaite de violettes qui
provient d’une mousse poudreuse (Byssus io-
lithus
).

Toutes ces beautés cependant sont moins
sensibles à l’ame et à l’oeil que l’influence de
la sérénité de l’air de ces monts, des béni-
gnes effets duquel Petrarque, Rousseau, et de
Luc ont fait un éloge aussi vrai que pathéti-
que. Cette vérité est si décidée qu’elle se
confirme même souvent par le consentement
de gens assés rudes, qui n’ont pas laissé de
remarquer l’impression diférente que sont au
Hartz la pluye, la rosée, la gelée blanche,
[Seite 112] les orages &c. en comparaison d’autres cli-
mats. C’est de la jouissance continuelle de
cette température du ciel que l’on peut dé-
duire la respectable simplicité et tout le ca-
ractere des habitans du Hartz, qui fait renai-
tre le souvenir de l’age d’or tant chanté par
les poetes, et qui s’est conservé presque gé-
néralement de la même façon dans des mon-
tagnes et des Alpes. Sur tout dans les vil-
lages du Hartz un peu écartés ce caractere
se manifeste même avec une teinture de ru-
desse, que l’on a eu tort cependant de vou-
loir faire passer pour une grossiéreté rustique.
Les habitans, et en particulier les paysans
et les mineurs sont généralement bons, offi-
cieux, et un peuple gai malgré toute son
indigence. Les richesses des mineurs et en
même tems leurs soucis vont précisémeut
d’un samedi à l’autre. Quoique nouris d’ali-
mens grossiers et chargés d’un travail encore
plus rude, ils ne laissent pas d’être de belle
humeur et joyeux, ils jouent de leur guitarre,
chantent leur chanson montagnarde, et pour
la mort, qui les menace si souvent et si évi-
[Seite 113] demment de les surprendre dans leurs fon-
ctions, ils la craignent si peu, que mourir
dans sa vocation passe chés eux pour une
mort glorieuse, et quand il arrive un malheu-
reux accident à quelqu’un, ceux des mineurs
qui ont droit de prétention briguent chau-
dement la place vacante du malheureux, et
même les emplois les plus périlleux. Ils
ont en général pour leur profession une
espéce de dévotion surprenante et fort esti-
mable, et leurs traditions même du cruci-
fix d’argent et du petit mineur trouvés an-
ciennement à Andreasberg &c. ont une em-
preinte de naïveté et de dignité qui leur donne
du relief. Dans leur vie domestique ils res-
semblent aux villageois du Valais dont St.
Preux a fait une description si bien goûtée.
Ils ont tout autant de débonnaireté, de bonhom-
mie, de droiture, mais plus de propreté que
ces autres: Car bienque les habitans du Hartz
n’ayent ni terme ni notion touchant le luxe,
ils ne laissent pas d’avoir en partage une pro-
preté singuliere, qui éclate jusque dans leurs
cabanes suligineuses et dans leurs chétifs ha-
[Seite 114] billemens aussi bien que dans leur vaisselle au
lait.

Nous nous sommes contentés de ne ra-
porter qu’en général les Beautés naturelles et
morales du Hartz, parceque ce n’est pas ici
le lieu qui nous permette le plaisir d’entrer
dans le détail des curiosités qui s’y trouvent.
Il y en a cependant deux ou trois que nous
n’osons passer sous silence, d’autant qu’elles
sont en possession de faire une marque cara-
ctéristique et distinctive de ces contrées.

La montagne nommée Brocken (par d’au-
tres Brocksberg et Bloksberg), qui fait les li-
mites du Hartz supérieur et inférieur, et qui
dans le bon vieux tems si éclairé des siécles
passés a été cause qu’on a rôti plus d’une
pauvre vieille aux yeux rouges ou chassieux,
éleve sa tête dans les airs à la hauteur de
500 brasses au dessus de l’assiette de Gottin-
gue; et la maisonnette bâtie sur le sommet
est la plus haute maison de l’Allemagne, de
la même maniere que l’hôpital sur le mont
St. Godard est la plus haute maison du monde.
On peut en Eté voir assés souvent du Brocken
[Seite 115] le célébré spectacle que les Anciens raportent
comme une merveille des monts Athos et
Olimpe, savoir les nuages, la soudre et le
tonnerre sous les piés. Les vues et perspec-
tives du Brocken sont presque trop grandes
et trop lointaines; elles causent trop de di-
straction pour pouvoir en observer les beautés
particulieres. De son sommet on distingue l’
Elbe comme un filet d’argent, comme aussi
la mer du Nord, le Gibichenstein près de
Halle, l’Inselsberg près de Gotha &c. Voir
du haut de cette montagne le lever du soleil,
ce qui arrive rarement à cause des fréquens
brouillards et des exhalaisons, mais quand on
atrappe le vrai moment, c’est une scène à
laquelle peu de phénomènes dans la Nature
peuvent être comparés en majesté et en ma-
gnificence.

Parmi les cavernes remarquables du Hartz
celles de Bauman et de Schartzfeld sont les
plus renommées. La premiere nommée Bau-
manshöle
du nom de celui qui l’a découverte
est située dans le voisinage des carrieres de
marbre de Rübeland, et ressemble beaucoup
[Seite 116] à la fameuse grotte d’Antiparos dans l’Archi-
pel, connue par les voyages de Tournefort
et par le livre allemand de M. Engel intitulé:
Le Philosophe pour le monde. Non seulement
la formation intérieure, mais aussi la qualité
des concrétions stalactites ont beaucoup de
conformité dans l’une et l’autre de ces caver-
nes, et les prodigieuses piéces coniques de la
grotte d’Antiparos que le Comte Orlow fit
détacher, et dont te Baron Asch a fait présent
au Muséum de Gottingue, ne diférent que par
la couleur jaunatre, des stalactites de la Bau-
manshöle qui se trouvent dans ce cabinet.
Cette grotte consiste en fix cavités connues,
et qui sait combien d’inconnues; elles sont
toutes revêtues à la voûte et sur la base du
sol, de cones de stalactite en contre-haut et
en contre-bas, ausquels l’imagination et la
superstition ont donné toutes sortes de figu-
res et de noms. Il se trouve aussi dans la
seconde cavité du marbre noir et du jaune,
comme aussi une infinité de gros ossemens,
lesquels ont, du moins en partie, apartenu
sûrement â des corps d’éléphans, ce qui peut
[Seite 117] se prouver par quelques pièces du crane qui
ont été transportées nouvellement de là à
Gottingue, et comparées avec les os récens
d’éléphant qui s’y trouvent.

La grotte de Schartzfeld, connue par tou-
tes sortes de traditions fabuleuses sous le nom
de creux de nains, n’a été découverte que
sur la fin du siécle passé, il y a environ cent
ans. Elle consiste également en plusieurs an-
tres contigus qui, à ce qu’on prétend, s’éten-
dent jusqu’ à des lieues sous terre, et dont
la premiere cavité est très-spacieuse et munie
à la voûte d’une ouverture qui lui donne as-
sés de lumiere comme par une coupole. Les
parois sont garnies d’eau calcaire lapidisique
tout comme dans la caverne de Bauman, et
les ossemens fossiles s’y trouvent également,
mais non pas d’éléphans; ce sont d’autres os
de très-grands animaux de la classe des chats,
peut-être de tigres &c. Dans le Muséum de
Gottingue il y a des unes et des autres de
ces piéces des morceaux très-bien conservés;
il paroit dailleurs moins dificile de faire com-
prendre la voye qu’ont tenu des éléphans pour
[Seite 118] venir à la grotte de Bauman, que celle par
où des ours et des tigres se seroient rendus
en compagnie dans la caverne de Schartzfeld.

Pas loin de cette derniere grotte se trouve
un bâtiment nommé la vieille église. C’est
un hermitage très-agréable et riant, quoiqu’
on n’en ait point fait d’éloge, et qu’on l’ait
oublié dans presque toutes les topographies;
il est situé sur le bord d’une montagne au-
quel on parvient en montant par un sentier
escarpé qui se trouve à côté. Sa situation a
beaucoup de ressemblance avec le fameux her-
mitage du Rigiberg dans le canton de Schwitz
vers le lac de Lucerne; il est spacieux et
haut, taillé dans un dur rocher. La lumiere
perce en partie par l’entrée et en partie par
le plafond, où pendoit autrefois la clochette
de l’hermite pour donner le signal de la pri-
ere. On y voit des niches et de petits au-
tels taillés dans les parois. Devant l’entrée
il y a une plaine environnée d’un buisson au
bord du précipice. De cette plaine on jouit
d’une perspective étendue et sereine; au pié
du roc on voit des vallées fertiles et nombre
[Seite 119] de villages, et dans l’éloignement un amphi-
théatre de montagnes qui bornent l’horison.
Il y a quelque tems qu’on y a trouvé des
ossemens d’homme, peut-être les restes de
l’un des pieux habitans de cet hermitage dont
l’histoire ne s’est conservée que par très-peu
de traces, même dans la tradition. Tout le
plan de ce lieu, bien loin de découvrir un
homme atrabilaire qui par misantropie ait
voulu s’ensevelir lui et son chagrin dans un
desert, décéle le dessein d’un homme de bien
qui par dévotion a cherché une solitude pour
se repaitre dans la retraite de la bonté du
créateur, de la magnificence de sa création,
et du bonheur de ses creatures.

[Seite 156] [Seite 157]


Blumenbach, Johann Friedrich. Date:
This page is copyrighted